Films pornos
Des jeunes femmes dénoncent les viols et mauvais traitements subis lors de tournages
Il lui a fallu presque une demi-heure. Manon racontait son expérience d’actrice, quand elle a enfin trouvé les mots. «C’est difficile de faire comprendre qu’on a été violée quand ton métier consiste justement à faire du sexe. Mais c’est ça. » Moins d’une semaine après la révélation de l’ouverture d’une enquête pour viols et proxénétisme visant les conditions de tournage des films diffusés sur le site Jacquie et Michel, la parole commence à se libérer dans le milieu du X. Manon, donc. Mais aussi Audrey, Julie, Estelle et Aïcha*. Ces jeunes femmes ont confié à 20 Minutes les histoires sordides qu’elles ont vécues à cause de producteurs ou de réalisateurs peu scrupuleux. En lien ou pas avec Jacquie et Michel, d’ailleurs.
Manon
n’a pas été d’une grande utilité. «Le tournage se passait bien jusqu’au moment où le cameraman, excité, a décidé de se joindre à nous pour son plaisir, s’insurge-t-elle. Ce n’était pas prévu. Evidemment, il n’avait pas fait de test. J’ai mis du temps à comprendre que c’était un viol. »
Tout comme Aïcha, qui a passé «des heures sous sa couette» après avoir subi une pratique qu’elle ne connaissait même pas en arrivant sur le lieu de son premier tournage. Ou Julie, qui a dû se laisser faire pour que le producteur accepte de la ramener en voiture. Ou encore Audrey, qui s’est retrouvée à tourner avec un acteur à qui elle avait pourtant dit «non» auparavant. Dans les récits de ces mauvais films, on trouve toujours le même scénario : des actrices inexpérimentées à qui on impose des pratiques non prévues et/ou de multiples partenaires. « Ils misent sur le fait que les filles ne vont pas interrompre le tournage une fois que c’est parti », se désole Manon. Il n’en a pas toujours été ainsi. Actrice dans les années 2000, Kim se souvient de l’âge d’or du porno, où les réalisateurs invitaient les filles au restaurant pour discuter avant de tourner : « Nous n’étions pas nombreuses. Les producteurs avaient besoin de nous.» Mais, en
Kim,
dix ans, le succès des sites «amateurs» tels que Jacquie et Michel a démocratisé l’idée que tout le monde pouvait jouer dans un film X. «Il y a tant d’actrices qu’elles acceptent tout pour 150 € ou 200 €», résume Kim, qui réfléchit à l’idée de diffuser les témoignages à charge contre certains vidéastes.
Si la contestation commence à gronder, les réalisateurs ont déjà sorti le parapluie. Ils savent que les faits sont difficiles à prouver. A la fin de chaque film, ils tournent une séquence dans laquelle les actrices doivent dire avoir été consentantes lors du tournage. Juste avant de leur donner leur paie. « Il suffit de regarder la mienne pour voir que je mens, se souvient encore Audrey. J’étais tellement traumatisée…» Contre toute attente, le salut de ces femmes pourrait venir de leur public. Sur Twitter, une actrice a publié le message d’un fan qui voulait savoir sur quelle vidéo elle avait été violée afin qu’il ne la regarde pas. Cette prise de conscience pourrait accompagner un changement dans le milieu. Les actrices investissent peu à peu des sphères plus privées, sans producteurs. A l’image de plateformes Web auxquelles les consommateurs doivent s’abonner pour avoir accès au contenu de leur star.
* Les prénoms ont été changés.
«J’ai mis du temps à comprendre que c’était un viol.»
«Il y a tant d’actrices qu’elles acceptent tout pour 150 € ou 200 €.»