« Un poisson avec trois grains de caviar, est-ce vraiment une belle recette ? »
Ancien chef trois étoiles de l’Astrance, Pascal Barbot revient, après avoir vu son restaurant fermé à cause du Covid-19 et quelques passages à « Top Chef », en ouvrant un nouvel établissement, à Paris (16e). Il s’appelle toujours l’Astrance, mais il n’a plus rien à voir. C’est une nouvelle adresse, qu’il a voulu adapter aux demandes de notre époque. Précurseur dans les années 2000 d’une gastronomie accessible et décomplexée, inventeur du menu unique, le chef évoque pour 20 Minutes la crise que traverse la restauration et ses solutions.
Vous proposez désormais des plats à la carte. C’est nouveau pour vous, qui avez lancé la mode du menu unique…
Quand on a ouvert l’Astrance, il y a vingt ans, la cuisine était toute petite, mais on avait envie de montrer au client tout ce qu’on savait faire. D’où l’idée d’un menu unique composé d’une multitude de plats. Avec toutes les crises qu’on a traversées, les clients n’ont plus forcément envie de passer quatre heures à table. En revanche, ils voudraient peutêtre venir plus souvent, ne commander qu’un plat. On garde notre menu « surprise », car c’est notre identité. La carte est un plus.
Vos prix ont augmenté. Comment les avez-vous fixés ?
Maintenir nos tarifs n’aurait pas été possible. Le menu déjeuner est passé de 95 à 125 €. Le soir, c’était 250 € le menu surprise. Maintenant, c’est 285 €. Mais on a des charges supplémentaires, les matières premières ont augmenté, comme les énergies, c’est fou… Tous les restaurants gastronomiques ne proposent pas un déjeuner à 125 €. C’est un gros budget, on est d’accord, mais pour qui veut découvrir l’univers Astrance, c’est possible.
Au début, l’Astrance s’est imposé par sa cuisine de haute volée faite avec des produits bon marché…
J’ai toujours préféré un joli maquereau à un mauvais turbot, un joli saumon fumé à un mauvais caviar. Pour moi, tous les produits sont égaux. Je les travaille tous avec la même exigence, ça donne une glace au persil, une soupe au pain… Un poisson avec trois grains de caviar, est-ce vraiment une belle recette ?
Votre participation à « Top Chef », c’était une parenthèse pendant la fermeture du restaurant…
Comme on n’avait pas de restaurant, on avait un peu de temps libre. L’idée de « Top Chef », c’était d’aller à la rencontre de jeunes passionnés. La transmission fait partie de l’histoire de l’Astrance, mais elle se fait dans les deux sens. Moi aussi, j’apprends beaucoup des jeunes en cuisine, tous les jours. Participer à « Top Chef », c’était une façon de garder le contact avec cette jeunesse. Les jeunes, ce sont nos futurs clients, ce sont nos futurs employés, ce sont nos futurs producteurs. C’est pour ça que, participer à « Top Chef », c’était important.
« La gastronomie a toujours su se réinventer et doit se réinventer. Nous devons cuisiner avec notre époque, de manière consciente et avertie du monde qui nous entoure. »
Alors que vous venez de rouvrir votre restaurant, que pensez-vous de la décision de René Redzepi de fermer le sien, Noma – considéré comme l’un des meilleurs au monde – pour se réinventer en laboratoire culinaire ?
Ce n’est pas nouveau, mais il est vrai que René Redzepi est un précurseur, un véritable chef de file. Ce n’est pas la fin pour lui, au contraire! La gastronomie est un ensemble de savoir-faire, notre rôle est de la réinventer et de mettre en lumière le travail des artisans.
Êtes-vous d’accord avec lui lorsqu’il dit que « la haute gastronomie n’est plus viable et qu’il faut repenser complètement notre façon de travailler » ?
On ne peut plus cuisiner comme en 1960 – c’est un fait, la cuisine est quelque chose de sociétal. Il y a une part de vérité dans sa décision, la gastronomie a toujours su se réinventer et doit se réinventer. Nous devons cuisiner avec notre époque, de manière consciente et avertie du monde qui nous entoure. C’est ce que René a fait, c’est un choix courageux.
N’avez-vous pas été tenté de faire un tel choix ?
Est-ce que l’Astrance fait de la haute gastronomie ? Ce qui compte, pour moi, c’est de servir du beau et du bon, mais aussi de s’entourer de producteurs incroyables, de savoir-faire, de jolies maisons qui font qu’une table puisse exister. C’est une question d’époque. L’important, c’est de proposer une restauration cohérente avec son époque et ne surtout pas se reposer sur ses lauriers.