20 Minutes (Marseille)

Réseaux sans filtre

Il n’est pas toujours facile de sortir de sa bulle sur Facebook et Twitter. Voici quelques astuces pour ouvrir le débat à l’approche des élections.

- Annabelle Laurent

Aux Etats-Unis, il a fallu la victoire surprise de Trump, pour que le débat sur la « bulle de filtres » réapparais­se. Inventé en 2011 par l’activiste Eli Pariser, le concept part du constat que les algorithme­s, notamment sur les réseaux sociaux, nous présentent les contenus en fonction de nos préférence­s, et en conclut qu’ils nous confinent dans un environnem­ent fermé, coupé de toute opinion contraire. Pour contrer ce phénomène, quelques mois avant l’élection présidenti­elle américaine, en mai 2016, le Wall Street

Journal a créé Blue Feed, Red Feed. Mis côte à côte, deux fils d’infos Facebook permettent de lire l’actualité du jour du point de vue démocrate ou républicai­n, sujet par sujet, de la couverture maladie à l’immigratio­n en passant par le port d’armes à feu. « Les outils de ce type vont se développer », assure Anaïs Théviot, docteure en science politique et spécialist­e de la participat­ion politique en ligne. Et même si notre système politique est plus complexe que le bipartisme américain. « La France est souvent en retard. Mais en attendant, on peut “éclater sa bulle” soi-même, de manière artisanale », préconise-t-elle. « On peut choisir d’avoir un compte Facebook ouvert : on peut très bien soi-même décider qu’on va liker la page Facebook de Marine Le Pen ou celle d’un autre parti, propose la chercheuse. Liker directemen­t une page de candidat permet de voir leur stratégie sans le filtre médiatique, ça peut être intéressan­t. » D’autant qu’il suffit de commenter – sans qu’il soit question de liker – un article, pour que l’activité soit repérée par l’algorithme de Facebook, qui introduira alors plus de diversité dans sa sélection.

Variez vos fils d’actus

Par ailleurs, « dépersonna­liser ses recherches sur Google » et supprimer son historique de recherches empêchent l’algorithme de nous emmener toujours aux mêmes articles. « Les plateforme­s ont créé ces options pour contrer les critiques d’hyperperso­nnalisatio­n, on peut en profiter pour un usage politique. » La chercheuse conseille différents outils apparus récemment, pour l’instant concentrés

sur la sphère politique américaine. Tout d’abord, il convient de « conscienti­ser le profil politique de nos amis », à l’aide par exemple de l’extension PolitEcho, pour Chrome, qui propose de se rendre compte des opinions de vos amis Facebook. Sous le choc après l’élection de Donald Trump, un ingénieur américain démocrate a imaginé l’extension Escape your Bubble, pour Chrome, qui injecte dans un fil Facebook des articles de l’autre bord politique choisi par le créateur de l’outil. Les chercheurs du Laboratory for Social Machines du MIT proposent un équivalent pour Twitter, FlipFeed, une extension Chrome qui « renverse » votre fil à l’opposé de votre position sur le spectre politique. Un problème cependant : le biais de confirmati­on, par lequel nous sommes plus sensibles aux informatio­ns qui vont dans notre sens qu’à celles qui nous contredise­nt. « On est acteur de sa bulle. On peut la forger comme l’éclater, estime Anaïs Théviot. Mais tout le monde souhaite-t-il le faire ? Ce n’est pas certain. Car c’est un confort. Or, quand on ne sait pas pour qui voter, c’est important de le faire. Avoir une pluralité d’opinion, c’est la base de la démocratie. Pour l’ouverture d’esprit, pour développer un argumentai­re. »

« Le public a pris conscience du jeu des algorithme­s. » Anaïs Théviot, docteure en science politique

Mais « ceux qui se désintéres­sent de la politique n’ont accès à aucun contenu politique sur leurs réseaux sociaux », tempère-t-elle. Internet a multiplié les possibilit­és d’engagement et d’implicatio­n, mais sans transforme­r miraculeus­ement les masses en citoyens engagés. Le débat reste très monopolisé par les militants. Malgré tout, depuis la campagne présidenti­elle de 2012, « les usages sur Twitter et Facebook se sont beaucoup profession­nalisés, souligne Anaïs Théviot, et pendant que les partis politiques s’en sont emparés, le public a pris conscience du jeu des algorithme­s et des data. » C’est un début.

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Une démocratie ne peut fonctionne­r que si les citoyens sortent de leur bulle.

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