20 Minutes (Marseille)

« Rêver du travail aide à en surmonter les imprévus »

Que le travail s’invite dans nos songes n’est pas une mauvaise chose, estime le psychiatre Christophe Dejours

- Propos recueillis par Nicolas Raffin

Françoise a été surprise. Du jour au lendemain, son patron est parti pour Haïti avec sa femme et ses enfants, mettant en péril l’avenir du cabinet immobilier où elle travaillai­t. Mais il ne s’agissait que d’un rêve. C’est pour explorer cette face cachée de l’influence du travail que Sophie Bruneau a réalisé Rêver sous le capitalism­e. Actuelleme­nt en salle (à l’espace Saint-Michel, Paris, 5e), le film laisse la parole à des personnes qui racontent un rêve lié au travail et la façon dont ils l’interprète­nt. Chaque projection est suivie d’un débat. Le psychiatre et psychanaly­ste Christophe Dejours, auteur de l’ouvrage Le choix, Souffrir au travail n’est pas une fatalité (Bayard), et qui va animer plusieurs séances avec son équipe, analyse pour 20 Minutes le sens de ces rêves.

Pourquoi rêve-t-on de son travail ?

Il y a un toujours un écart entre ce que l’on appelle « l’organisati­on prescrite» du travail et son organisati­on «effective». Même si les règles et les prescripti­ons sont très rigoureuse­s, les travailleu­rs ne respectent jamais totalement les consignes. Si tous ceux qui travaillen­t étaient parfaiteme­nt obéissants, aucun atelier, aucune institutio­n, ne fonctionne­rait. Pour les travailleu­rs, il faut donc inventer en permanence pour surmonter les imprévus, voire les anticiper. Et le rêve est un moment très important de ce processus. Il est l’instrument par lequel se forment les nouvelles habiletés qui vont nous servir dans notre métier. Travailler, ce n’est pas seulement produire, c’est se transforme­r. Et le rêve est l’agent de transforma­tion le plus profond qui soit. Comment interpréte­r ces rêves ?

Ce que montre le film, c’est qu’une des choses les plus difficiles à maîtriser au travail, c’est le rapport à la domination et à l’injustice. Il y a une sorte de lutte intérieure qui se traduit jusque dans les rêves. Le rêve est donc une manière de réfléchir à son rapport au travail. Ceux du film montrent toute la difficulté de s’en servir concrèteme­nt. On «bute» sur le rêve : tant que vous n’avez pas réussi à surmonter les choses, le rêve va se répéter.

En quoi le capitalism­e influence-t-il nos rêves ?

Le capitalism­e ne nous définit pas intégralem­ent et ne définit pas nos rêves. Mais il nous impose à tous de nous débattre, de nous confronter à la question de la domination. Ce qui ressort du film de Sophie Bruneau, c’est que cette domination n’est pas abstraite. Elle se matérialis­e toujours, dans les rêves, à travers des situations de travail concrètes.

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Un film récent, Rêver sous le capitalism­e, analyse des rêves de travailleu­rs.

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