« Rêver du travail aide à en surmonter les imprévus »
Que le travail s’invite dans nos songes n’est pas une mauvaise chose, estime le psychiatre Christophe Dejours
Françoise a été surprise. Du jour au lendemain, son patron est parti pour Haïti avec sa femme et ses enfants, mettant en péril l’avenir du cabinet immobilier où elle travaillait. Mais il ne s’agissait que d’un rêve. C’est pour explorer cette face cachée de l’influence du travail que Sophie Bruneau a réalisé Rêver sous le capitalisme. Actuellement en salle (à l’espace Saint-Michel, Paris, 5e), le film laisse la parole à des personnes qui racontent un rêve lié au travail et la façon dont ils l’interprètent. Chaque projection est suivie d’un débat. Le psychiatre et psychanalyste Christophe Dejours, auteur de l’ouvrage Le choix, Souffrir au travail n’est pas une fatalité (Bayard), et qui va animer plusieurs séances avec son équipe, analyse pour 20 Minutes le sens de ces rêves.
Pourquoi rêve-t-on de son travail ?
Il y a un toujours un écart entre ce que l’on appelle « l’organisation prescrite» du travail et son organisation «effective». Même si les règles et les prescriptions sont très rigoureuses, les travailleurs ne respectent jamais totalement les consignes. Si tous ceux qui travaillent étaient parfaitement obéissants, aucun atelier, aucune institution, ne fonctionnerait. Pour les travailleurs, il faut donc inventer en permanence pour surmonter les imprévus, voire les anticiper. Et le rêve est un moment très important de ce processus. Il est l’instrument par lequel se forment les nouvelles habiletés qui vont nous servir dans notre métier. Travailler, ce n’est pas seulement produire, c’est se transformer. Et le rêve est l’agent de transformation le plus profond qui soit. Comment interpréter ces rêves ?
Ce que montre le film, c’est qu’une des choses les plus difficiles à maîtriser au travail, c’est le rapport à la domination et à l’injustice. Il y a une sorte de lutte intérieure qui se traduit jusque dans les rêves. Le rêve est donc une manière de réfléchir à son rapport au travail. Ceux du film montrent toute la difficulté de s’en servir concrètement. On «bute» sur le rêve : tant que vous n’avez pas réussi à surmonter les choses, le rêve va se répéter.
En quoi le capitalisme influence-t-il nos rêves ?
Le capitalisme ne nous définit pas intégralement et ne définit pas nos rêves. Mais il nous impose à tous de nous débattre, de nous confronter à la question de la domination. Ce qui ressort du film de Sophie Bruneau, c’est que cette domination n’est pas abstraite. Elle se matérialise toujours, dans les rêves, à travers des situations de travail concrètes.