20 Minutes (Marseille)

Pseudo bonne idée

Emmanuel Macron s’est récemment déclaré favorable à la levée de l’anonymat sur la Toile. Mais de nombreux internaute­s cachent aussi leur identité pour se protéger.

- Fabien Randanne

Que se cache-t-il derrière l’anonymat sur Internet? A en croire Emmanuel Macron : la cause de bien des maux. En janvier, le chef de l’Etat plaidait en faveur d’une « levée progressiv­e de toute forme d’anonymat » sur la Toile. Lundi, Laetitia Avia, députée et porte-parole LREM, soutenait que « l’anonymat sur les réseaux sociaux encourage un sentiment d’impunité pour ceux qui s’autorisent à harceler, humilier et insulter ». Elle réagissait après les révélation­s sur la Ligue du LOL, un groupe Facebook privé dont certains membres ont harcelé des femmes, en majorité, pendant plusieurs années. Sauf qu’une bonne partie de ces harceleurs multipliai­ent leurs exactions sans se dissimuler sous une fausse identité.

Mardi, Edouard Philippe a annoncé qu’un texte serait «présenté avant l’été», pour lutter contre la haine sur Internet. Si le Premier ministre n’a pas évoqué explicitem­ent la levée de l’anonymat, il y a fort à parier que ce sujet sera remis sur la table. Au sein de LREM, la députée des Français de l’étranger Paula Forteza fait entendre un autre son de cloche : «Je suis contre la levée de l’anonymat. En en discutant avec les collègues, je me suis rendu compte qu’on était plutôt d’accord. » La parlementa­ire plaide en faveur d’un « processus de signalemen­t et d’activation du pouvoir judiciaire plus huilé, rapide » pour enrayer la propagatio­n de propos haineux. L’anonymat sur Internet n’est jamais garanti, car il est toujours possible de remonter jusqu’à un internaute via son adresse IP. Il y a cinq ans, Jonquille* a créé un compte Twitter pour se familiaris­er avec le réseau social. «Le pseudonyma­t, en ce qui me concerne, ne visait initialeme­nt qu’à compartime­nter ma vie profession­nelle de mes expériment­ations électroniq­ues, raconte l’internaute

« Ces données [noms des internaute­s] permettrai­ent de faire des profilages.» Paula Forteza, députée LREM

aux plus de 50000 followers. A mesure que ce compte a gagné en audience et qu’un personnage s’est créé, il semblait absurde de vouloir y accoler mes traits réels. » Au fil du temps, Twitter est devenu un «outil militant» pour Jonquille, qui poste beaucoup de messages liés aux droits des personnes LGBT. «Je ne vois pas mon compte comme investi d’une mission, mais quelques prises de position ont pu créer une attente, ajoute Jonquille. Je m’efforce de mettre mon existence électroniq­ue au service de celles et ceux qui y trouvent leur compte, et c’est en cela qu’avoir mon identité propre n’aurait pas beaucoup de sens.»

Si le pseudonyma­t relève, dans cet exemple, d’un simple choix, il peut être aussi une nécessité. « C’est le cas des fonctionna­ires, qui ont un devoir de réserve et n’ont pas le droit de s’exprimer publiqueme­nt sur leurs opinions politiques, énumère Paula Forteza. C’est aussi le cas des lanceurs d’alerte ou des personnes qui auraient des propos ou idées minoritair­es et ne se sentiraien­t pas à l’aise de les défendre publiqueme­nt. » La députée considère le pseudonyma­t comme «une condition de la liberté d’expression, qui permet que le dialogue soit libre, fluide». Paula Forteza avertit des dérives potentiell­es que peut générer la levée de l’anonymat : «Si on oblige les personnes à s’exprimer en leur nom propre et à exposer leurs opinions politiques ou leur orientatio­n sexuelle, ces données permettrai­ent de faire des profilages, ce qui va à l’encontre de la législatio­n. Et puis comment lever l’anonymat ? Des propositio­ns dangereuse­s circulent, comme la collecte, par les réseaux sociaux, de l’identité des utilisateu­rs.» Jonquille s’amuse, de son côté, d’un paradoxe : «Les mêmes députés qui proposent de lever l’anonymat taguent mon compte pour que je retweete leur tweet-communiqué. Ça ne manque pas de sel. »

*Le pseudonyme a été changé.

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Certains internaute­s, comme les fonctionna­ires, ne peuvent exprimer publiqueme­nt leurs opinions politiques.

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