Transmission, action !
Le rappeur revient sur la réalisation de «Cités», la première série TikTok (diffusée à partir de ce vendredi) autour du patrimoine et de la jeunesse.
Poétiser les réseaux sociaux, voilà le nouveau défi que s’est lancé Abd Al Malik. Pour cela, il a écrit et réalisé Cités, la première série 100 % TikTok (en partenariat avec Amazon Prime Video France), diffusée à partir de ce vendredi sur le réseau social, et qui met en lumière les connexions entre le patrimoine culturel français, Albert Camus, George Sand ou Paul Eluard, et la jeunesse. Résonances contemporaines, liens entre poètes d’autrefois et rappeurs d’aujourd’hui… L’artiste a répondu aux questions de 20 Minutes.
Comment est né ce projet de minisérie pour TikTok ?
TikTok est venu me voir avec l’idée de raconter une histoire via ce réseau social. Je me suis dit que ce serait hyper intéressant de pouvoir faire une série avec le propre langage de ce réseau. Je me considère comme un lanceur de passerelles, un homme-pont. Dans les quartiers populaires où j’ai grandi, les rues portent les noms de grandes figures de l’histoire ou de la littérature. On est submergés par la culture, au sens positif du terme. Je me suis dit qu’il serait intéressant, par exemple, de mettre la rue Paul-Eluard en lien avec des gamins en train de freestyler. Il était un poète, et les poètes d’aujourd’hui sont les rappeurs. Rapper Paul Eluard, c’est comme si Paul Eluard écrivait son poème et le faisait lire à un confrère poète. L’idée est donc d’adapter, de mettre en lien comme ça.
En résumé, il s’agit de montrer que ce patrimoine culturel se marie à une culture dite « urbaine ». Et que ces cultures que, parfois, on oppose, sont loin d’être incompatibles...
Ce que vous dites, ce sont des mots. Les cultures « urbaines », on les appelait autrement hier et, demain, on leur donnera un autre nom. Ce qui est important est de dire ce qu’il y a derrière ces mots. Parfois, on a des clichés. C’est à nous d’essayer de changer de perspective. J’ai autant appris en écoutant IAM et NTM à la fin des années 1980 qu’en lisant Albert Camus ou Victor Hugo. Je vois des correspondances évidentes entre Baudelaire et des rappeurs. Notre fonction d’artiste est de faire prendre du recul. Et quand on prend ce recul, on se rend compte que ce n’est pas le chaos, mais l’harmonie. In fine, c’est juste de la transmission.
Est-ce une façon de redonner le goût de cette culture française aux jeunes, souvent accusés de la délaisser ?
On veut nous faire croire qu’on est nés avec un bouquin dans les mains et que c’est naturel. Mais non, il doit y avoir des pédagogues. Je ne veux pas me la jouer prof, c’est juste que la littérature et la poésie m’ont sauvé la vie. Je me dis que, si ça a marché pour moi, ça peut marcher pour d’autres. Je ne fais que transmettre. Au lieu de dire : « Les jeunes ne lisent plus », il faut se demander ce que l’on fait pour qu’ils s’intéressent à la lecture. L’une des personnes qui a donné le plus envie à Camus de lire, c’est un de ses oncles, boucher.
Malgré tout, il y a une réalité : les enjeux d’éducation, de moyens et d’accessibilité sont inégaux en fonction de là où l’on naît ou de là où l’on vit…
On vit aussi dans une époque de l’instrumentalisation, de jeux de pouvoir. En réalité, il y a certaines personnes qui utilisent la culture pour se positionner en tant qu’élite ou pour laisser certaines personnes dans leurs modèles de réflexion, fermés, afin de justifier leurs positions d’élite. Mon travail, en toute humilité, est de faire de l’élitisme pour tous. Pour moi, c’est éminemment démocratique, éminemment citoyen.
En préambule de votre série apparaît cette phrase : « Jeunesse, la culture vous rassemble. » Selon vous, la jeunesse française a-t-elle plus que jamais besoin d’être réunie ?
Pour moi, elle l’est déjà. Quand je dis cette phrase, ça veut dire que l’engagement est une chose, mais que penser à fédérer, à être ensemble, à faire communauté, c’est un pas en plus. L’idée universelle de la culture, ça va au-delà du fait d’être homme, femme, jeune, vieux, vert, jaune, noir, qu’importe. Ça parle à notre humaine condition. La culture est comme un trésor. Plus on y puise, plus il augmente.
«Je vois des correspondances entre Baudelaire et des rappeurs.»
« La littérature et la poésie m’ont sauvé la vie. »