20 Minutes (Marseille)

Pour l’économiste Stephanie Kelton, «la dette n’a pas à faire peur, c’est une façon de payer ses dettes»

Economie Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par notre correspond­ant en Californie, Philippe Berry

Non, la dette et les déficits ne sont pas forcément mauvais pour un pays. C’est ce que soutient l’économiste américaine Stephanie Kelton, dans Le Mythe du déficit (éd. Les Liens qui libèrent), disponible depuis mercredi en France. Celle qui a conseillé les démocrates américains au Sénat en 2014 et en 2015, puis Bernie Sanders lors de sa campagne de 2016, est l’une ambassadri­ces de la théorie monétaire moderne (TMM, ou MMT en anglais).

Quels sont les principes fondamenta­ux de la théorie monétaire moderne ? La TMM explique comment une monnaie souveraine fonctionne. Un Etat, qui émet sa propre monnaie, collecte un impôt, emprunte dans sa monnaie et ne la convertit pas dans quelque chose de limité, comme l’or, ou dans une devise étrangère, comme les EtatsUnis, le Canada ou le Japon, ne peut jamais être à court d’argent. Car un Etat souverain peut toujours créer davantage de monnaie ? Exactement. Quand j’étais étudiante à Cambridge, le livre référence d’Olivier Blanchard [chef économiste du FMI de 2008 à 2015] expliquait que les Etats pouvaient payer leurs factures de trois façons : lever des impôts, emprunter ou faire tourner la planche à billets. Mais cette option était vite laissée de côté, car vue comme hyper inflationn­iste. Ça vous laisse deux options : l’impôt ou l’emprunt. La TMM dit : « Tout ça est faux. » Il n’y a qu’une façon : toutes les dépenses des gouverneme­nts sont financées avec de la monnaie créée.

L’approche a changé avec le Covid-19. Le « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron est-il justifié ? Bien entendu. Face à une telle crise, on ne s’inquiète pas des déficits budgétaire­s à la fin de l’année. La priorité est de protéger autant que possible des retombées économique­s, d’assurer la survie d’industries et des communauté­s. La question, c’est ce qui vient après. Est-ce qu’on dit : « Ouf, tout le monde est immunisé contre le Covid-19, revenons au pacte de stabilité des critères de Maastricht, avec une dette inférieure à 60 % du PIB » ? Selon moi, ça ne doit pas être la priorité. Avec des taux d’intérêt faibles, comme c’est le cas actuelleme­nt, une majorité d’économiste­s ne sont pas très inquiets de l’envolée de la dette. N’y a-t-il aucun seuil critique ?

On panique en entendant «déficits» et «dette», en pensant que c’est une menace nationale, que ça met en danger le futur de nos enfants, alors que ces concepts sont bénins. La dette, c’est ce qu’on voit dans le rétroviseu­r, c’est une archive historique de toutes les fois où l’Etat a dépensé plus qu’il n’a collecté en impôts. Elle n’a pas à faire peur. C’est une autre façon de payer les factures. Une immense majorité d’économiste­s rejettent la TMM, car émettre une quantité importante de monnaie a souvent été associé à une inflation incontrôlé­e. Que leur répondez-vous ?

Je ne minimise pas le risque de l’inflation. Mais c’est de l’arrogance de dire qu’on comprend tous ces mécanismes, qu’on a un unique modèle et que le seul outil dont on aura besoin pour la combattre est une hausse des taux des banques centrales. Je n’écarte pas la possibilit­é d’une inflation plus forte dans une période de transition. Mais, pour des raisons démographi­ques et technologi­ques, les risques sont plus limités que par le passé. La TMM semble séduire certains élus, comme l’élue progressis­te Alexandria Ocasio-Cortez, qui en parle pour financer le Green New Deal. C’était votre objectif ? Je veux que les gens prennent conscience que le budget de l’Etat ne fonctionne pas comme celui d’une famille. Que les élus ont le pouvoir de voter pour financer la santé, l’éducation et lutter contre le changement climatique. C’est un message d’optimisme. Le futur n’a pas à être dur et fait de privations car on a vécu au-dessus de nos moyens. Ce n’est pas juste une crise sanitaire ou économique. Concentron­s-nous sur les vraies problémati­ques : le budget carbone et la hausse des températur­es. Tout le reste est accessoire.

«Face à une telle crise, on ne s’inquiète pas des déficits.» «La dette est une autre façon de payer ses factures. »

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 ??  ?? Autrice du Mythe du déficit, l’économiste américaine Stephanie Kelton plaide pour des dépenses financées par de la création de monnaie.
Autrice du Mythe du déficit, l’économiste américaine Stephanie Kelton plaide pour des dépenses financées par de la création de monnaie.

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