Un miroir déformant
Les réseaux sociaux ont modifié notre comportement
Chamath Palihapitiya n’est pas le premier à sonner l’alerte. Cet ancien vice-président de Facebook, en charge par le passé de la croissance de l’audience pour le site de Mark Zuckerberg, a déclaré au cours d’un débat en novembre que les réseaux sociaux « sapent les fondamentaux du comportement des gens ». 20 Minutes, qui a déjà compilé les charges de plusieurs figures de la Silicon Valley contre l’économie de l’attention, a fait le point sur l’impact des réseaux sociaux sur notre cerveau avec Dominique Boullier, sociologue, chercheur à l’Ecole polytechnique de Lausanne et spécialiste des technologies cognitives. A ses yeux, les réseaux sociaux transforment « le tissu social en jeu de miroir. Il y a une fonction de stimulation d’une image, que l’on gère comme une politique éditoriale, ce qui crée des fictions évidemment, mais qui n’est pas tout à fait le sens que l’on pouvait donner aux réseaux sociaux au début. » Avec un décalage, in fine, entre la réalité et l’image renvoyée, qui peuvent fatiguer les gestionnaires de comptes : « Désormais, il y a peu de choses à se dire et beaucoup à mettre en scène. Regardez le nombre de gens qui quittent les réseaux sociaux : c’est épuisant, c’est un travail constant de mise en scène de soi. C’est un réseau social, certes, mais de pure fiction », poursuit le sociologue.
Economie de l’attention
L’épuisement peut venir aussi de la saturation en sollicitations de toutes sortes : notifications, messages, vidéos, qui se déclenchent toutes seules. C’est ce que l’on appelle l’économie de l’attention, un système dans lequel la surabondance d’informations fait de notre capacité d’attention la principale ressource économique. « C’est ce qui amène une mutation dans nos comportements, car c’est à une échelle importante, qui démultiplie les stimulations », avance Dominique Boullier. Ce type d’excitation provoque un stress, qui peut lui-même générer un sentiment de satisfaction, activant certaines hormones, ce qui donne la sensation de monter en tension. « Ça génère un épuisement, une saturation cognitive, qui fait que vous n’arrivez plus à tenir le rythme. Pour garder un certain niveau de visibilité, il faut pourtant continuer à réagir », poursuit le chercheur. Au milieu des années 2000, à la tête d’une équipe de chercheurs de l’université de Compiègne (Oise), Dominique Boullier avait travaillé sur les effets cognitifs des SMS et des mails, juste avant l’apparition des réseaux sociaux. « On avait noté que, dans les entreprises, on déclarait ne plus pouvoir garder un temps de concentration de plus de sept minutes. » A l’heure actuelle, le chercheur assure ne plus être capable de se focaliser sur une tâche plus de huit secondes en moyenne,