Cellules d’investigation
A chaque décès de détenu, une enquête est ouverte. Mais la tâche est loin d’être aisée pour les policiers.
Entre 2000 et 2010, 2 613 personnes sont décédées derrière les barreaux (la moitié était des suicides), selon une étude publiée en janvier 2017 par Santé publique France. Ces dernières semaines encore, deux détenus ont été retrouvés morts à Fleury-Mérogis (Essonne), un à Seysses (HauteGaronne). Si, à chaque fois, une enquête est ouverte pour rechercher les causes du décès, la «manifestation de la vérité » se heurte souvent à la violence d’un monde régi par l’omerta et la suspicion.
« Paranoïa sur la sécurité »
« Il faut être extrêmement vigilant, insiste Robert Montury, policier qui est intervenu dans des maisons d’arrêts et des centres de détention. Les surveillants peuvent être instrumentalisés par des détenus dans certaines enquêtes. A côté de ça, on n’est jamais à l’abri du cas d’un maton qui craque et qui serait devenu violent à l’égard des prisonniers. Il faut savoir démêler le vrai du faux. » La défiance qui entoure la mort d’un détenu est parfois alimentée par l’administration elle-même, déplore François Bès, coordinateur du pôle enquête pour l’Observatoire international des prisons (OIP) : « On nous rapporte des cas de familles qui viennent au parloir, et qui apprennent sur place le décès de leur proche. Immanquablement, ça crée une suspicion. Surtout quand il s’agit d’un suicide et que l’entourage n’a pas pu déceler la détresse de la personne détenue. » Un constat partagé par Etienne Noël, avocat au barreau de Rouen et spécialiste du droit pénitentiaire et de l’application des peines. « L’administration pénitentiaire n’arrive toujours pas à communiquer de façon claire et humaine là-dessus. Il y a une telle paranoïa sur la sécurité qu’on en dit le minimum. Idem pour l’institution judiciaire. Dans 90 % des cas, les plaintes des proches pour nonassistance à personne en danger sont classées sans suite. Sauf que le parquet leur notifie simplement le décès, mais sans leur expliquer pourquoi!» Pour les viols et les homicides, l’avocat reconnaît toutefois l’efficacité de la procédure : « Les enquêtes sont faites de façon approfondie et débouchent très souvent sur une instruction puis un procès d’assises. » Salah Zaouiya a attendu douze ans pour que l’Etat français soit définitivement reconnu responsable du décès de son fils Jawad. La nuit du 23 juillet 1996, l’un de ses deux codétenus a déclenché un incendie dans leur cellule. Les surveillants n’ont ouvert la porte que quinze minutes plus tard. Quand le Samu est arrivé, le jeune homme était déjà dans le coma. « On nous disait : “C’est la faute à pas de chance.” L’administration cachait la vérité, les témoignages des surveillants ressemblaient à des lettres-types, ils disaient avoir fait le nécessaire. La justice n’a pas fait son boulot correctement et on a été obligé de le faire. Mais on a eu raison. »