Des espèces tapent l’incruste
A l’image du frelon asiatique, les espèces invasives sont l’un des premiers facteurs de perte de biodiversité. La France commence à prendre la menace au sérieux.
La trace en Europe du goujon asiatique remonte aux années 1960, après son introduction de façon artificielle dans les aquacultures des pays de l’ancien bloc soviétique. « Il s’agissait d’un programme de culture de carpes chinoises, détaille Rodolphe Gozlan, directeur de recherche à l’IRD, qui travaille depuis vingt ans sur cette espèce invasive. Avec elles sont arrivés les goujons asiatiques, de petits poissons présents au milieu des stocks de carpes. Et ces goujons ont été à leur tour commercialisés comme poisson fourrage pour d’autres espèces carnassières comme les brochets. » Désormais présent dans de très nombreux cours d’eau en France métropolitaine et notamment dans l’Hérault, le goujon asiatique est listé par l’Union européenne comme une espèce préoccupante. Il est porteur sain d’un agent pathogène qui cause des ravages parmi les autres poissons. « Toutes les études ont démontré que la présence du goujon asiatique a un impact extrêmement fort sur les populations locales qui ont connu un déclin sévère », reprend le spécialiste de l’IRD. Au point que certaines espèces autochtones sont désormais menacées de disparition. Au contact du pseudorasbora parva (son nom latin), le taux de mortalité des autres espèces est éloquent : 75 % pour la brème commune et le saumon atlantique, 20 % pour la carpe commune ou encore 44 % pour la truite commune. En plus d’une catastrophe écologique, cette maladie infectieuse pourrait avoir des conséquences économiques, sur les élevages d’esturgeons, par exemple. En revanche, il n’y aurait à ce jour, selon les scientifiques, aucune raison de penser que l’homme puisse être infecté. Le Royaume Uni a exterminé l’espèce, généralement concentrée dans les zones calmes des lacs et des rivières, les eaux stagnantes ou les bras secondaires. La France en est au stade de l’étude. « Elle est en train de mettre en évidence l’ampleur du problème, souligne Rodolphe Gozlan. Ça va permettre une vraie prise de conscience. » Il s’agira ensuite de déterminer les solutions pour le traiter...
« En présence du goujon asiatique, le déclin des espèces locales est sévère. » Rodolphe Gozlan, de l’IRD
Ecrevisse d’Amérique, moustique tigre, renouée du Japon… Derrière ces noms exotiques se cachent des espèces végétales et animales qui causent de gros dégâts. Professeur et coordonnateur de la Stratégie nationale relative à ces espèces envahissantes, Serge Muller rappelle que des mesures ont fini par être prises.
Qu’est-ce qu’une espèce invasive?
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) donne une définition qui fait consensus. Il s’agit d’une espèce venue d’un autre pays ou d’un autre continent, introduite par l’homme volontairement (parce qu’elle était belle, par exemple) ou involontairement (via les échanges commerciaux internationaux), et qui s’adapte si bien à son nouveau milieu qu’elle y prolifère au point de menacer l’écosystème existant.
A quelles espèces pensez-vous?
On peut citer le frelon asiatique, observé pour la première fois en France en 2004 dans le Lot-et-Garonne. En outre-mer, des chats retournés à l’état sauvage déciment des populations d’oiseaux endémiques, comme le pétrel de Barau à La Réunion.
Quelles menaces les espèces invasives font-elles peser sur la biodiversité?
L’UICN en parle comme de la deuxième cause de perte de biodiversité dans le monde, derrière la disparition des habitats naturels. En France, l’impact est moindre et vient après la surexploitation des ressources ou les pollutions. Mais les espèces invasives peuvent avoir des conséquences sanitaires. Par exemple, le contact avec la berce du Caucase provoque de graves irritations de la peau.
Quelles mesures ont été prises?
On prend peu à peu conscience du problème. Depuis 2016, les Etats membres de l’UE ont interdiction d’importer, de cultiver, de reproduire, de vendre ou de remettre dans le milieu naturel 49 espèces. Propos recueillis