Quel bonheur quand l’intelligence artificielle fait des erreurs
Une IA commet des erreurs et ça vous fait plaisir ? C’est normal
Observer une machine se planter a tendance à faire naître la même satisfaction que quand le premier de la classe se prend une tôle au dernier contrôle de maths. Au moindre faux pas, ça ne loupe pas, les médias parient déjà sur la fin des nouvelles technologies et le crash des géants de la Silicon Valley. Aussi, quand l’enceinte intelligente Alexa a le malheur d’enregistrer une conversation privée et de l’envoyer à un destinataire de manière aléatoire, comme la semaine dernière (lire l’encadré), on dégaine l’accusation d’« espionnage ». C’est que nous autres, les humains, prenons un malin plaisir à recenser les failles des machines, comme pour nous convaincre qu’on a (encore) le dessus sur l’intelligence artificielle. Au mois de mai, Elon Musk a d’ailleurs jugé « disproportionnée » l’attention des médias pour ses voitures autonomes, notamment en cas d’accident. Quand une Tesla a été impliquée dans une collision mortelle en 2016, l’information a fait les gros titres. Même emportement de la presse lorsqu’un véhicule autonome d’Uber a tué une piétonne qui traversait en dehors des clous dans une zone non éclairée. Et pourtant, le pilote artificiel est «plus fiable qu’un humain». «Ce n’est pas parce qu’il y a eu un accident que ce sera la fin de la voiture autonome », martelait Laurent Meillaud, expert des technologies automobiles au moment du drame, au mois de mars. Mais l’homme ne rate pas une occasion de taper sur les machines et Sophia, de Hanson Robotics, illustre bien cet amour-haine. Le robot humanoïde, qui peut imiter 63 expressions faciales, fascine pour sa ressemblance avec les humains, et son éloquence et, en même temps, met très mal à l’aise. «Les technologies créent des sentiments ambivalents», confirme le philosophe JeanMichel Besnier, professeur émérite à la Sorbonne, qui évoque la « honte prométhéenne » que l’homme éprouve envers les machines. Le concept, élaboré par Günther Anders dans L’Obsolescence de l’homme (1956), désigne la «honte (…) devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées. » Du coup, quand elles font n’importe quoi, il se sent pousser des ailes. « Les machines nous renvoient à une image d’êtres impuissants. Et quand elles révèlent leurs limites, on reprend du poil de la bête. Ça veut dire que nous avons encore de l’avenir », poursuit le philosophe. Mais ne nous habituons pas à cette « satisfaction narcissique », car les intelligences artificielles sont de plus en plus sophistiquées et, avec le deep learning, elles apprennent mieux. Elles finiront peutêtre, comme certains l’imaginent, par développer une conscience. Profitez donc bien du plaisir coupable que les robots maladroits vous procurent. Ça ne va pas durer.
«Ce n’est pas parce qu’il y a eu un accident que c’est la fin de la voiture autonome. »
Laurent Meillaud, expert
« Les machines nous renvoient à une image d’êtres impuissants. »
J.-M. Besnier, philosophe