20 Minutes (Montpellier)

«Quand on est en exil, on est une âme handicapée», témoigne l’actrice iranienne Golshifteh Farahani

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par Caroline Vié

Golshifteh Farahani a quitté son Iran natal en 2009 pour exercer son métier en toute liberté. L’actrice francoiran­ienne de 36 ans, qui poursuit une carrière internatio­nale, a accepté de parler de son pays et de son exil avec une telle force de vie qu’on ressort revigoré de la conversati­on.

Referiez-vous le choix de tourner avec Leonardo DiCaprio en sachant ce que ça allait impliquer ?

Bien sûr. Mensonges d’Etat a fait basculer ma vie en m’obligeant à quitter l’Iran. Je ne regrette rien. En réalité, je ne pense pas vraiment avoir fait de choix dans ma vie. C’est le destin. Je suis en harmonie avec ce qui est écrit, car une bonne étoile veille sur moi.

Vous sentez-vous proche de l’héroïne d’« Un divan à Tunis » (lire l’encadré), qui retourne dans son pays ?

Je peux comprendre son besoin de rentrer en Tunisie. Elle a vécu en France depuis son enfance et souhaite aider son pays tout en s’aidant ellemême. Mon cas est très différent, car j’ai grandi en Iran et j’ai été contrainte de partir en exil, alors que j’étais enracinée dans mon pays.

Croyez-vous à cette notion de racines ?

Cela me parle, il y a plusieurs façons de le vivre. Quand vous êtes un arbre qui a grandi sur sa terre, vous vous sentez bien. Quand on vous a déraciné jeune, vous pouvez être replanté ailleurs, mais vos racines auront perdu de leur force. A partir d’un certain âge, on ne peut plus déraciner un arbre, il faut le couper. C’est ce qui m’est arrivé, alors je fais pousser mes racines à l’intérieur de mon corps.

Cette résilience vient-elle de votre pays ou vous est-elle personnell­e ?

Un peu des deux. Quand on est né dans un pays instable, on apprend à ne pas s’attacher aux misères de la vie. On sait qu’il n’y a pas de futur et pas de passé : la vie doit être conjuguée au présent. On évolue dans une tempête permanente où seules comptent la vie et la survie. Je suis une survivante. Même dans des conditions difficiles, je trouverai toujours un chemin pour survivre.

Vous sentez-vous concernée par ce qui se passe en ce moment en Iran ?

Comment ne pas l’être! J’ai réussi à garder du recul pendant des années, puis le crash de l’avion m’a atterrée. La situation est tellement absurde, tellement triste… Là, on a l’impression d’arriver vers la fin de l’histoire. Tout est détruit, mais le coeur de l’Iran continue de battre, comme dans ces mauvais films où le héros se relève toujours malgré les raclées. L’art, la poésie et les gens, génération après génération, gardent l’Iran en vie parce qu’on l’aime.

Vos proches se trouvent-ils toujours sur place ?

Toute ma famille est en Iran. On n’a pas la même perception de l’extérieur avec ce qui est montré aux infos. Si vous n’allez pas dans les manifs, vous ne risquez pas de prendre une balle. Ce qui est vrai, c’est que le moral des gens est au plus bas. Je ne suis pas inquiète pour leur santé physique, mais pour leur mental. Ils ont beau être habitués, ils se sentent impuissant­s.

Aurez-vous envie de retourner en Iran, un jour ?

Oui, beaucoup, mais ce n’est pas un besoin vital. Quand on est en exil, on est une âme handicapée. On a perdu une jambe, donc on se sent bancal. Même si je revenais en Iran, ce membre ne pourrait pas repousser. Je ne veux pas penser à cela. Je ne crois en rien pour ne pas être déçue. La vie m’a appris que l’espoir est dangereux.

Habitez-vous toujours en France ?

Depuis trois ans, je vis entre l’Espagne et le Portugal. Je suis allée vers le soleil, vers la nature avec aussi l’envie de vivre dans des endroits qui n’appartienn­ent à personne.

De quoi avez-vous envie aujourd’hui ?

Je possède tout ce que je désire. Je n’ai donc envie de rien. Je ne souhaite qu’une paix globale. On ne peut plus se dire que, puisqu’on est protégé en Europe, on se fiche de l’Afrique. Tout est lié. Il est temps de s’unir pour sauver la planète, notre bateau qui prend l’eau. C’est l’affaire de tous et de toutes.

Etes-vous une militante écologiste ou féministe ?

Je ne suis pas militante du tout. Je reste discrète dans mes combats. «Ce n’est pas les orages qui font pousser les fleurs, mais la pluie », dit le poète Rumi. Je suis la pluie. J’en ai marre des orages.

« Le crash de l’avion m’a atterrée. » «La vie m’a appris que l’espoir est dangereux. »

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«Je suis une survivante», explique la comédienne de 36 ans qui vit en exil depuis 2009.

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