20 Minutes (Montpellier)

« Chaque jour compte»

Chargé de copiloter la commission « inceste », le magistrat Edouard Durand plaide pour un renforceme­nt de la protection de l’enfance.

- Propos recueillis par Hélène Sergent

«Il y a une très forte attente de la part des victimes. »

« Les dépôts de plainte restent très inférieurs à la réalité. »

Sur son bureau, d’épais dossiers sont alignés les uns à côté des autres. Depuis le 23 janvier et sa nomination à la tête de la commission « inceste », le juge des enfants au tribunal de Bobigny, Edouard Durand, doit jongler avec sa nouvelle casquette. Pour lever le tabou sur ce phénomène destructeu­r, le magistrat appelle à « voir » et « entendre » la violence subie par les victimes.

A quoi doit servir la commission sur l’inceste que vous coprésidez avec Nathalie Mathieu ?

La colonne vertébrale de cette commission, c’est d’organiser un espace pour recueillir la parole des victimes de violences sexuelles et d’inceste. Il y a une très forte attente de leur part. Ce qui est nouveau, c’est que cette aspiration a reçu un écho important dans la société. L’autre devoir, pour la commission, c’est que ce recueil de la parole permette de renforcer la culture de la protection des enfants. Notre mandat doit durer deux ans, avec des objectifs à court, moyen et long termes. Chaque jour compte.

Quel type d’actions comptez-vous mener ?

Cela peut passer par la mise en place de vastes modalités d’écoute, par l’organisati­on de rencontres entre les victimes qui le souhaitent avec les membres de la commission. Mais révéler ce qu’elles ont subi peut être très éprouvant. Il est donc de notre responsabi­lité de leur offrir un accompagne­ment social, juridique ou psychologi­que. Nous souhaitons aussi organiser des séminaires sur le territoire national, y compris en outre-mer.

Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour qu’une telle initiative voie le jour ?

La protection des enfants s’est construite progressiv­ement. La conscience que la maison pouvait être le lieu du danger, et non le lieu de la protection, a mis du temps à advenir. Pendant longtemps, la protection de l’enfance n’a concerné que les enfants orphelins et vagabonds, c’està-dire ceux en dehors de la maison familiale. Mais, quand on parle d’inceste, on parle encore d’un tabou. Parce qu’il est plus commode de ne pas voir cette violence de l’intime. Il n’y a pas si longtemps que ça, on regardait de haut les victimes d’inceste.

Qu’est-ce qui a changé ?

Ce qui a changé, c’est la prise de conscience de l’extrême violence de ces faits, et l’impact qu’ils ont sur le bien-être et le développem­ent des enfants. Nous le devons à l’apport des connaissan­ces sur le psychotrau­matisme. Aujourd’hui, on ne peut plus s’autoriser à dire : «Ce n’est pas si grave.»

Dans votre ouvrage Violences sexuelles, en finir avec l’impunité (Dunod), vous jugez que les victimes de ces violences restent confrontée­s à un système qui « assure encore l’impunité des agresseurs »…

Il n’y a qu’à comparer l’écart entre les chiffres très importants des violences sexuelles et les condamnati­ons des agresseurs. Nous savons que les violences sexuelles, comme les violences conjugales, font l’objet d’une double sous-révélation. Les dépôts de plainte restent très inférieurs à la réalité, massive, du phénomène. A l’inverse, le nombre de classement­s sans suite de ces plaintes reste très important. Et l’autre sous-révélation, c’est celle du récit des victimes, qui disent tou- jours moins que l’horreur du réel éprouvé. Il faut absolument parvenir à réduire cet écart pour donner confiance aux victimes et pour rendre justice.

Le gouverneme­nt s’est dit favorable à la création d’une « prescripti­on échelonnée » pour les victimes mineures de violences sexuelles. Quelle est votre position à ce sujet ?

Ceux qui s’opposent à une évolution du droit de la prescripti­on sont aussi ceux qui disent : « Les réseaux sociaux ne doivent pas devenir un tribunal médiatique. » C’est un peu paradoxal ! La prescripti­on glissante ou échelonnée pourrait réduire certaines incohérenc­es. Aujourd’hui, des procès se tiennent encore avec des victimes pour qui les faits sont prescrits, et d’autres pour qui ce n’est pas le cas, alors qu’il y a un même agresseur. Il est légitime, à mon sens, de remettre de la cohérence.

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Le 23 janvier, le magistrat Edouard Durand a été nommé coprésiden­t de la commission sur l’inceste et les violences sexuelles.
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