20 Minutes (Montpellier)

Louis Maurin prône un «revenu unique» pour effacer la pauvreté

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par Delphine Bancaud

En France, les écarts se creusent. Les classes aisées voient leurs revenus progresser, quand ceux des autres catégories stagnent. Dans Encore plus ! Enquête sur ces privilégié­s qui n’en ont jamais assez

(éd. Plon), Louis Maurin, directeur de l’Observatoi­re des inégalités, analyse avec précision ce phénomène. Pour 20 Minutes, il évoque ces inégalités et propose des solutions pour lutter contre.

Votre livre est né d’une indignatio­n contre les inégalités. Est-ce parce qu’elles se sont creusées ces dernières années ?

C’est une indignatio­n engendrée par le constat répété des inégalités perpétuées depuis des années dans notre pays. Depuis vingt ans, le niveau de vie des catégories populaires et des classes moyennes a stagné, alors que celui des privilégié­s n’a cessé de progresser. Dans les années 1960, 1970 et 1980, les classes populaires et moyennes ont connu une forme de progressio­n sociale. Puis il y a eu une coupure nette. D’où l’apparition de tensions sociales fortes en France.

Vous expliquez que le débat public est polarisé sur les 1 % d’ultrariche­s en France, mais que l’on oublie les classes favorisées. A qui profite cette simplifica­tion du discours ?

Quand on désigne une petite frange de la société comme « responsabl­e » des inégalités, on invisibili­se de fait les 19 % de la catégorie aisée. Cette démagogie a un but : ne pas reconnaîtr­e les avantages des classes aisées permet de les dédouaner de l’effort de solidarité envers les plus pauvres.

A partir de quel niveau de revenus peut-on se considérer comme privilégié ?

A partir de 2 600 € net après impôts et prestation­s sociales pour une personne seule. Ce qui représente 19 % de la population française. A partir de 3 500 € net, on entre dans la catégorie des riches. Même si ces facteurs sont à nuancer en fonction de l’âge et du lieu de résidence

de la personne.

Pourquoi les personnes aisées ontelles tant de mal à se reconnaîtr­e comme telles en France ?

Les Français ont un rapport complexe à l’argent et ne disent pas combien ils gagnent quand ils sont aisés, alors que, aux Etats-Unis, se dire riche est valorisé socialemen­t.

En quoi la politique fiscale des dernières années a-t-elle renforcé les inégalités ?

La quasi-suppressio­n de l’impôt sur la fortune, le prélèvemen­t forfaitair­e unique, qui a permis de réduire les impôts sur les revenus financiers, la suppressio­n de la taxe d’habitation, la défiscalis­ation des dons entre grands-parents, parents et enfants… Toutes ces mesures ont profité aux classes les plus aisées. Cela représente des montants colossaux qui auraient pu permettre de répondre à des besoins sociaux.

Vous soulignez que la crise sanitaire a encore enrichi les plus aisés, pourquoi ?

Les cadres et les fonctionna­ires ont gardé leur boulot et ont pu épargner. Selon les derniers chiffres de la Banque de France, les trois premiers trimestres de l’année 2020, 110 milliards d’euros supplément­aires ont ainsi pu être épargnés. En revanche, certains précaires n’ont pas pu épargner un seul euro et ont basculé dans la pauvreté, comme les intérimair­es, les chômeurs, les personnes en CDD…

Vous soulignez quand même quelques progrès de notre modèle social ces dernières années…

Le contexte Dans son livre, Louis Maurin analyse les inégalités, encore accentuées depuis la crise sanitaire. Une situation de moins en moins supportabl­e pour une majorité de Français, qui réclament davantage de justice sociale.

Oui, il y a eu la création de la CMU [couverture maladie universell­e] en 2000, certains minima sociaux destinés aux personnes handicapée­s ou âgées ont été relevés, la

Haute Autorité de lutte contre les discrimina­tions a vu le jour en 2004…

Quelles autres mesures faudrait-il prendre pour améliorer la situation ?

Instaurer un revenu unique de 900 € mensuels pour une personne seule sans revenus permettrai­t d’éradiquer la grande pauvreté et coûterait 7 milliards par an. C’est environ 150 € de plus que le RSA et les APL, et les jeunes de moins de 25 ans y auraient accès. Il faudrait aussi renchérir le coût de la flexibilit­é du travail, et réformer la fiscalité et le système éducatif.

«Dès 3500 € net, on entre dans la catégorie des riches.»

«Un revenu unique pourrait éradiquer la pauvreté. »

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Le directeur de l’Observatoi­re des inégalités, Louis Maurin, qui vient de publier Encore plus!, dresse un tableau de la réalité des inégalités dans la société française.

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