« Le désespoir est supérieur à l’espoir. Aujourd’hui, les vaches m’ont tué »
La crise qui frappe la paysannerie française se traduit par 300 suicides chaque année
Des champs à perte de vue, des vaches laitières, des porcins... et, jamais très loin, des coopératives ou les industries agroalimentaires. A Plumieux, dans les Côtes-d’Armor, on vit par et pour l’agriculture. « Sans elle, on n’existe pas », explique Pierrick Le Cam, le maire de cette commune qui abrite 65 entreprises agricoles, soit au moins 130 emplois, les métiers induits et des malheurs. C’est à Plumieux qu’une agricultrice de 47 ans s’est donnée la mort à quelques jours du début du Salon de l’agriculture, provoquant l’intérêt soudain des médias. Tous ont relayé la thèse des difficultés financières traversées par son couple, propriétaire d’une belle exploitation. Une version nuancée par son mari lors des obsèques. « Ce n’était pas qu’un problème d’argent, souligne Bernard Lucas, lui-même éleveur de porcins. Tous les soucis se sont mélangés en même temps, voilà. » Pour Régis Briand, producteur laitier et éleveur de volailles, « c’est un message qu’elle a envoyé à son mari, à la société ».
« Pour nous, il n’y a rien »
La situation ? Trois cents suicides d’agriculteurs par an, selon les chiffres de la Mutualité sociale agricole (MSA), une surmortalité de 20 % par rapport au reste de la population, qui monte à 50 % chez les producteurs laitiers. Particulièrement en Bretagne, où la crise du secteur depuis deux ans a laissé du monde sur le carreau. Marie Le Guelvout raconte comment son frère Jean-Pierre, qui a connu son heure de gloire en participant à « L’Amour est dans le pré », a progressivement perdu pied. Cela faisait deux ans qu’il piochait dans ses réserves. Des soucis avec sa compagne et un crédit supplémentaire refusé l’ont achevé. « Aujourd’hui, le désespoir est supérieur à l’espoir… les vaches m’ont tué », a-t-il écrit avant de se loger une balle en plein coeur. Le phénomène, longtemps pris en charge par les associations, est désormais trop visible pour être mis sous le tapis. L’Etat a mis en place un numéro d’appel national, Agri’écoute, pour les éleveurs en détresse, ainsi qu’un réseau de sentinelles (vétérinaires, fournisseurs de machine, élus locaux), censés prévenir les drames avant le passage à l’acte. Avec des résultats difficiles à quantifier... Hervé Guillemin, producteur laitier, ne préfère rien attendre des candidats à la présidentielle. « Ils font les beaux au Salon mais, pour nous, il n’y a rien. Qu’ils commencent par nous foutre la paix en enlevant toutes ces normes qui nous pourrissent la vie et il y aura moins de suicides. »