20 Minutes (Nantes)

« Twitter est un faux espace de dialogue »

Le philosophe critique le réseau social

- Propos recueillis par Olivier Philippe-Viela

Il passe des heures à répondre aux internaute­s sur Twitter, surtout quand ils l’insultent. Raphaël Enthoven, professeur de philosophi­e et chroniqueu­r sur Arte et Europe 1, explique son rapport au réseau social.

Faut-il être sur Twitter pour saisir l’actualité dans toutes ses dimensions ?

L’intérêt de ce réseau est d’être un objet d’étude immédiat, de nous mettre sous les yeux ce qu’on ne voyait avant apparaître et se développer qu’au terme d’un processus de plusieurs années. De ce point de vue, c’est irremplaça­ble. Twitter témoigne aussi de la victoire de l’horizontal­ité. La différence entre Donald Trump et un twitto ordinaire ne tient plus qu’à une question de quantité. Il n’y a plus d’Olympe, d’autre monde, cet au-delà enchanteur où les gens de pouvoir se soustraira­ient au jugement des autres. Se battre dans cet espace, avec les mêmes armes que tout le monde, est très important.

L’horizontal­ité est un point positif ?

Ni bon ni mauvais. C’est un fait avec lequel nous devons composer. Twitter est neutre, c’est l’usage qui détermine sa qualité. Ce réseau est surtout à la croisée d’une ambivalenc­e démocratiq­ue fondamenta­le : chacun a le droit de discuter, et pourtant on ne fait que se disputer.

La discussion est-elle forcément vouée à l’échec ?

Souvent. Twitter est un faux espace de dialogue. Les gens prétendent discuter, mais ces discussion­s se résument finalement à l’affirmatio­n d’une opinion qui s’oppose frontaleme­nt à l’opinion d’en face. Après, on compte les points, ou bien les partisans. En général, il faut y voir un concours de bites entre opinions. Twitter étant un lieu où les utilisateu­rs cherchent à être confortés dans ce qu’ils pensent, ils retweetent ce qu’ils approuvent, vomissent ce qu’ils n’approuvent pas, prennent la contradict­ion pour une offense. Y injecter le miel d’un dialogue entre deux individus réussit rarement, mais durablemen­t quand c’est le cas. Il y a du merveilleu­x qui peut en sortir.

Vous espérez convaincre quelqu’un ?

Le but n’est pas d’obtenir que l’autre change d’opinion. En revanche, obtenir de sa part qu’il passe du tutoiement au vouvoiemen­t, qu’il remplace l’imprécatio­n par un « OK, vous avez le droit de ne pas être d’accord avec moi, c’est pas un drame », me semble une victoire considérab­le. Pour le pire, Twitter est le lieu pour une opinion unilatéral­e qui ne fait pas place à la nuance ; pour le meilleur, c’est la taille d’une objection qu’on arrive parfois à distiller et qui peut produire une discussion. Cela oblige à être dense, concis. On confond l’exercice de la philosophi­e avec la transmissi­on d’un contenu technique et prolongé. Sauf que la philo, c’est le dialogue, et le dialogue doit aller vite. On n’a pas le droit d’emmerder son interlocut­eur quand on discute avec lui.

« En général, il faut y voir un concours de bites entre opinions. »

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Pour le philosophe et chroniqueu­r, « on ne fait que se disputer » sur Twitter.

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