20 Minutes (Nantes)

« Quand on n’est plus pro, on devient une personne normale, et on n’est pas prêt »

L’ancien espoir des Girondins raconte son long combat contre la dépression

- Propos recueillis par Antoine Huot

Mai 1996, les Girondins s’inclinent en finale de la Coupe UEFA face au grand Bayern Munich. Mais une petite tête blonde fait son apparition en fin de match au stade olympique et au Parc Lescure. A 19 ans, Cédric Anselin est encore stagiaire avec l’équipe bordelaise, il est alors tout proche de devenir footballeu­r pro, son « rêve ». Pourtant, la suite de sa carrière ne sera qu’une lente dégringola­de : dépression, trahison par un escroc, tentative de suicide… Cédric Anselin, 40 ans aujourd’hui, s’est confié sur cette période sombre, pour que « le monde du football prenne conscience de cette maladie ».

Quand vous êtes vous rendu compte que vous étiez en dépression ?

Ça a commencé en Angleterre. Passer des Girondins à Norwich, c’était difficile, parce qu’à Bordeaux, j’étais le petit jeune du centre de formation qui jouait la Coupe d’Europe. A Norwich, tout le monde me regardait, car j’étais internatio­nal français (U21), j’avais joué la Coupe d’Europe... J’avais plus de pression. Je n’y étais pas préparé. L’entraîneur qui m’avait fait venir a été viré et ça a été plus difficile avec son suppléant. Je ne jouais pas tout le temps, j’avais du mal à m’adapter. A la fin de la deuxième saison, ils m’ont fait partir.

Comment avez-vous réagi ?

Quand on m’a dit que je devais partir de Norwich, j’étais perdu. Je pensais que j’étais rejeté. Je me disais que je n’étais pas fait pour le foot pro, je doutais de mes qualités. Je n’étais pas préparé à cette brutalité. Et ensuite, tout s’est enchaîné.

Vous n’avez pas réussi à rebondir ?

Je suis parti à Ross County, en Ecosse. Ça a été compliqué. Je suis parti seul, j’ai vécu toute l’année dans un Bed & Breakfast. A la fin de la saison, mon contrat n’a pas été renouvelé. Je me suis retrouvé au chômage et le mental en prend un coup… Le téléphone ne sonne plus. Par la suite, j’ai accepté une offre d’un club bolivien.

Etiez-vous toujours dans l’optique de faire du foot votre métier ?

A mon retour de Bolivie, j’ai appris que j’avais des problèmes d’argent, alors que je me pensais à l’abri. Une personne de ma famille m’a escroqué. J’ai perdu 500 000 €, je n’avais plus rien. En plus de ne pas avoir de club, de ne pas pouvoir jouer au foot, j’ai été trahi par ma propre famille… Ça m’a détruit. Quand t’es dans le foot, t’es dans une bulle, mais dès lors que ça s’arrête, c’est compliqué. Tu te retrouves vraiment seul. C’est là que la dépression a vraiment commencé. J’ai fait une première tentative de suicide en 2012. Mais ma femme m’a sauvé.

Vous avez fait une deuxième tentative de suicide plus tard, et cette fois, c’est un ancien joueur qui vous a sauvé...

Clarke [Carlisle, ancien joueur de Queens Park Rangers], c’est la première personne à qui j’ai tout raconté, alors que j’avais la corde au cou. Quand je lui ai tout balancé au téléphone, il m’a dit d’aller voir un ami et d’aller consulter un docteur et de tout lui répéter. Du coup, au lendemain de ma tentative de suicide, le médecin que je suis allé voir a appelé un hôpital psychiatri­que qui est venu me récupérer. Ils m’ont gardé pendant un mois

« Aujourd’hui, je parle de dépression dans les écoles, les collèges, les centres de formation des clubs pros. »

et demi. Avant de partir, la directrice de l’hôpital m’a dit : « T’es un grand nom à Norwich, pourquoi tu ne parles pas de tes soucis dans un journal ? »

L’avez-vous fait ?

J’ai fini par accepter. Je me suis mis en contact avec un journalist­e et j’ai tout expliqué. L’article est paru [fin 2016] et, depuis ce moment-là, j’en parle tous les jours, je sauve des vies. Cet article m’a servi de thérapie. Aujourd’hui, je parle de dépression dans les écoles, les collèges, les centres de formation de clubs profession­nels. On programme les jeunes joueurs à être des machines à gagner. On ne les éduque pas à l’échec, que ce soit scolaireme­nt, profession­nellement ou humainemen­t. Quand tu n’es plus joueur pro, tu deviens une personne normale, tu dois tout faire toi-même, tu n’es pas préparé à cela. Les clubs, les fédération­s doivent aussi veiller sur l’après-carrière des joueurs. Et il faut aussi accepter de voir la dépression comme une maladie.

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Cédric Anselin a été finaliste de la Coupe UEFA, avant de dégringole­r.
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