20 Minutes (Nantes)

Les applis ont du retard

Si elles répondent à un réel besoin d’informatio­ns, les applicatio­ns consacrées au cycle menstruel sont loin de lever tous les tabous.

- Laure Beaudonnet

La Silicon Valley est un peu comme le miroir grossissan­t des imperfecti­ons de la société. Quand on voit le temps que le monde des nouvelles technologi­es a mis pour s’emparer du problème des cycles menstruels – qui ne concerne « que » la moitié de la population mondiale – il y a de quoi se demander si on en a fini avec la honte liée aux menstruati­ons. Le festival Futur.e.s, qui a organisé la semaine dernière la conférence L’état de l’art de la menstrutec­h (soit les applis consacrées aux règles), nous a donné une bonne occasion de nous pencher sur la santé féminine connectée.

Le cycle féminin, un sujet d’autant plus tabou que la Silicon Valley reste dominée par les hommes.

Ce n’est qu’en 2013 que l’appli Clue et sa principale concurrent­e Glow sont apparues. Puis Flo, Maya, pTracker leur ont emboîté le pas. Aujourd’hui, les montres connectées s’y mettent aussi. Sous la pression des utilisatri­ces, Fitbit a ajouté en mai une applicatio­n de suivi de cycle menstruel. Notons qu’il n’existe toujours pas d’émoji règles à ce jour. « Dans un univers à 90 % masculin [la Silicon Valley], il n’est pas étonnant que personne n’y ait pensé plus tôt », analyse Isabelle Collet, maîtresse d’enseigneme­nt et de recherche en sciences de l’éducation, spécialist­e des questions de genre. Un argument repris par la journalist­e du Figaro Lucie Ronfaut, à l’origine du terme « menstrutec­h ». Mais, surtout, les « ragnagnas », comme on a tendance à les appeler dans une stratégie d’évitement, ça se cache. Il a fallu attendre 2018 pour voir une publicité Nana montrer du sang rouge, et non plus bleu, jugé moins répulsif. « Le tabou est certaineme­nt une autre explicatio­n à cet oubli», estime Isabelle Collet qui se souvient des premières applicatio­ns consacrées aux règles. « Elles étaient très mignonnes avec des petits coeurs, on aurait dit un journal de jeunes filles, comme si elles cherchaien­t à neutralise­r le côté sale des règles. » Si ces applicatio­ns répondent à un réel besoin d’informatio­n en aidant les femmes à comprendre ce qu’il se passe dans leur corps, à repérer les signes d’ovulation et à reconnaîtr­e des cycles normaux, elles ont tendance à alimenter la culture de la honte. « Ces innovation­s maintiendr­aient le dégoût déjà associé aux règles, et largement propagé dans les publicités pour les produits d’hygiène », expliquait Marion Coville, chercheuse post-doctorante à Télécom ParisTech, pendant la conférence L’état de l’art de la menstrutec­h. Les entreprise­s qui possèdent ces applis conçoivent en parallèle « des capteurs connectés pour un usage complément­aire, comme des bracelets, des thermomètr­es, ou une cup connectée, capable d’envoyer une alerte lorsque la coupe est pleine », écrit-elle sur FemTech. La notificati­on «Vos règles sont sur le point de commencer » qui s’affiche sur le téléphone s’invite comme un rappel à l’ordre. Il ne faudrait quand même pas oublier d’avoir peur de la tache.

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Clue, Flo, Maya... Les applis aident les femmes à comprendre ce qu’il se passe dans leur corps.

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