20 Minutes (Nantes)

«El Trinche» est mort, pas sa légende

Décédé le 8 mai, l’Argentin Tomas Carlovich avait, dit-on, un talent comparable à celui de Maradona

- Julien Laloye

Et au troisième jour ressuscita Tomas Carlovich en même temps que mourait sa légende. Le plus grand footballeu­r de l’histoire que personne n’a jamais vu jouer est mort à 71 ans, le 8 mai, après une agression à Rosario. Une ville qui a donné à l’Argentine Bielsa, Valdano, Messi et le fameux Tomas Carlovich, dit «El Trinche».

Un fils d’immigré croate dont le récit des exploits dans les années 1970 se chuchotent de génération en génération entre Cordoba et Rosario, dans une dévotion tout à fait irrationne­lle pour un joueur qui n’aura après tout jamais disputé que quatre petits matchs en première division argentine. «On dit que je suis le meilleur, mais depuis que je suis arrivé ici [Il venait de signer au Newell’s Old Boys] tout le monde me dit que le meilleur était un certain Carlovich, alors je ne sais plus», dira Diego Maradona en 1993.

Irréfutabl­e. Comment se battre, en effet, contre une idée qui ne repose que sur la légende, puisque aucune image ne subsistait de l’artiste, l’inventeur, paraît-il, du «doble cano», petit pont à l’aller et au retour?

Sauf que trois jours après le décès brutal de Carlovich, Carlos Andrès Grecco, archiviste de la petite ville de Monte Maiz, a renversé le mythe sans mal y penser en cinq minutes de compilatio­n YouTube dénichées à partir des vieilles cassettes d’un oncle journalist­e. « Je connaissai­s son histoire et je savais qu’en cherchant un peu il existait des images de lui, nous explique-t-il. Sa mort a été un déclic pour moi. Carlovich est devenu une légende avec les années, même les plus grands comme Menotti ou Pekerman disaient qu’il avait l’élégance de Redondo et de Riquelme. Il fallait que je donne au monde un peu de son génie.» Mais l’homme qui était plus fort que Maradona n’y apparaît pas sous son meilleur jour à 42 ans et des brouettes, dans une finale régionale de la province de Cordoba. Le mirage Carlovich charrie sa cohorte d’illusions et de demi-mensonges soigneusem­ent entretenus. Un jour, un arbitre serait revenu sur sa décision de l’expulser sous la pression du public adverse, qui menaçait d’une émeute. Un autre, Pelé aurait refusé sa signature chez les Cosmos de New York parce qu’il ne voulait pas qu’un autre roi lui fasse de l’ombre.

Tant de légendes qui nourrissen­t aussi le regret de ne pas l’avoir vu faire une carrière à la hauteur de son talent. « Les choses ne se sont pas faites, c’est tout», reconnaiss­ait-il en 2015. Mais qu’importe, tant qu’on n’avait pas les images. Alors pourquoi, cher Carlos ? « Je ne l’ai pas fait pour atténuer sa légende ou quoi que ce soit, au contraire. J’ai retrouvé cette vidéo pour sa famille. Je voulais que ses enfants et ses petits-enfants puissent avoir des images de lui, heureux, sur un terrain de football, qu’il leur reste quelque chose.»

Le mirage Carlovich charrie sa cohorte d’illusions et de demi-mensonges.

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Une fresque en hommage à Tomas Carlovich devant le stade de Rosario Central.

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