Un malaise manifeste chez les infirmiers
Les professionnels du secteur public et du privé dénoncent leurs conditions de travail
«C’est rentré dans la normalité : l’infirmière, c’est la bonne poire! », tempête Lucile dans le cortège parti depuis la gare Montparnasse, à Paris. Pour la première fois depuis vingt-huit ans, infirmiers salariés et libéraux, mais aussi étudiants et aides-soignants ont décidé de se mettre en grève nationale et de porter leurs réclamations sur le salaire, la reconnaissance et la pénibilité de leur travail à la ministre de la Santé, Marisol Touraine. « Nos conditions de travail dégradées se ressentent sur la qualité des soins », avance Aurore. Et sa collègue de renchérir : « Les patients se plaignent, mais on n’a pas le temps de discuter avec eux. Il m’arrive de ne pas m’arrêter, même pour aller aux toilettes ou m’asseoir de 7 h à 13 h. » « On est multitâche : en plus d’être infirmière, on fait secrétaire, kiné, psychologue… », précise Alexia. Une fatigue et un cercle vicieux que tous dénoncent. « Le taux d’absentéisme élevé dans la profession reflète l’épuisement. Du coup, on fonctionne tout le temps en effectif réduit, personne ne peut suivre de formation par manque de personnel, souligne Evelyne. Et cinq suicides en trois mois, c’est quand même le signe que ça ne va pas ! » Horaires décalés, manutention, violence émotionnelle sont autant de facteurs qui usent le personnel. « Vous savez que l’espérance de vie des infirmières est inférieure de sept ans par rapport aux Françaises? » lance Evelyne.
Besoin de reconnaissance
Les infirmiers libéraux, eux aussi, craignent pour l’avenir de leur profession. Pour Christophe, « on empiète sur nos compétences : maintenant les pharmaciens peuvent vacciner, on encourage les maisons de santé... » Marie, une collègue du Gers, partage ce ras-le-bol. « Entre une tarification de l’acte très basse et des charges élevées, on n’est même pas payées au Smic horaire alors qu’on a fait un bac + 3. La santé est en train de devenir un commerce et tout le côté humain de notre métier disparaît. » Mais un mot d’ordre rassemble tous ces manifestants : le besoin de reconnaissance. Qui passe par une augmentation de salaire pour les professionnels, d’indemnités pour les étudiants. Dans le privé, « c’est toute l’année les soldes : le premier soin est payé à 100 %, le deuxième à 50 % et après, c’est gratuit! », résume Stéphanie. Dans le public, on ne supporte pas que « le salaire, entre 1 500 et 1 800 € par mois, ne soit pas à la hauteur des responsabilités ». Chez les étudiants, le malaise est déjà présent. « On remplace ceux qui sont en arrêt maladie, explique Tiphaine, 21 ans. Du coup, on n’est pas encadré. Et on peut faire des erreurs. »