20 Minutes (Nice)

Un roboticien passe au crible «Westworld»

Le directeur de la recherche de SoftBank Robotics se penche sur le réalisme de la série « Westworld »

- Propos recueillis par Annabelle Laurent et Anne Demoulin

La série « Westworld » vient d’arracher à « Game of Thrones » le meilleur lancement historique d’une production HBO. Mais notre joie est mitigée à l’idée de voir débarquer des androïdes que rien ne distingue des humains. Pour y voir plus clair, nous avons sollicité Rodolphe Gelin, directeur de la recherche de SoftBank Robotics (ancienneme­nt Aldebaran Robotics), qui fabrique les robots Nao, Romeo et Pepper. Promis, pas de spoilers.

Des robots fabriqués avec une sorte d’imprimante 3D, c’est crédible ?

Beaucoup de nos robots sont fabriqués au début en impression 3D. Ce n’est pas irréaliste. Nous ne savons pas faire pour le moment la matière souple qu’ils étendent dans « Westworld », mais on commence à imprimer du déformable. On peut imaginer que le futur aille dans ce sens, avec des bras robotisés d’assez grande ampleur pour faire de grands volumes.

Une mise à jour sème la pagaille…

Malgré tous nos tests, certaines mises à jour provoquent des bugs, on s’est reconnu dans cet aspect de la série. Comme celle qui fait qui fait bugger l’un d’eux dans les premiers épisodes. Même eux, qui sont très très forts, connaissen­t ces problèmes, ça fait plaisir ! (Rires)

La dernière génération de robots du parc a des organes…

Les robots de « Westworld » boivent et mangent, c’est peut-être leur façon de se recharger. Des essais ont été faits en ce sens. Le robot SlugBot mangeait des limaces et en tirait son énergie. C’est peut-être l’avenir de la robotique que de trouver des sources d’énergie. Notre robot Romeo n’a pas beaucoup de place pour des batteries, et n’a qu’une heure et demie d’autonomie. Là, il y a un gros challenge technique.

Peuvent-ils avoir une conscience ? Ford, le créateur, explique que « dans une 1re version, les hôtes entendaien­t leur programmat­ion sous forme de monologue intérieur, pour faire naître l’amorce d’une conscience »…

C’est n’importe quoi. Cette voix intérieure est toujours un programme en train de s’exécuter, ça n’éveille pas la conscience du robot du tout. Nao, quand il voyait un autre Nao, disait « Oh ! un Nao. » Parce qu’on l’avait programmé pour. Il ne se disait pas « Oh, un autre Nao, mais comment, je ne suis pas unique. Oh! mon dieu, je suis une machine! » Après, on peut s’amuser. Les chercheurs pourraient très bien dire à un robot « Considère que tu es unique », et si le robot voit quelque chose comme lui, il se dira qu’il n’est pas unique. Mais ce doute aura été programmé par le chercheur.

Peut-on créer des souvenirs à un robot avant sa mise en service comme le fait le docteur Ford ?

L’idée est excellente, car si un visiteur du parc s’assoit à côté d’un robot, lui avoir inventé un passé peut lui permettre de tenir la conversati­on. On peut tout à fait créer un passé à un robot. Nos robots stockent des informatio­ns, nous pouvons les changer. On peux imaginer de faire raconter en boutique à Pepper qu’il a vu Zidane. On pourrait tout à fait lui inventer ce souvenir.

Les visiteurs du parc Westworld s’attachent aux robots (l’un en tombe même amoureux)…

Pour l’éviter, on a justement choisi de ne pas donner à nos robots une apparence trop attachante. On n’en est pas là, à part une geek japonaise qui est complèteme­nt cinglée avec son Pepper… Les gens s’attachent à leurs robots, mais sans excès. On est vigilants, notamment pour les personnes âgées : on espère que le robot sera un compagnon de leur solitude, mais une de ses missions est de veiller à ce que la personne continue à avoir des relations sociales, et lui rappelle de téléphoner à ses proches, par exemple. C’est donc une responsabi­lité du programmat­eur.

L’humain viole, tue et massacre des robots dans « Westworld ». Peut-on imaginer, comme en Corée, une charte qui leur accorde le droit « d’exister sans craindre de blessures ou la “mort” » ?

Faut-il donner des droits aux robots ? Non, car les robots sont des objets. Vous allez me dire qu’on pensait ça des esclaves il fut un temps, puis des animaux il y a peu, alors pourquoi pas les robots ? Parce que ce sont des choses. Serge Tisseron raconte dans son livre (Le Jour où mon robot m’aimera, 2015) que des démineurs américains aimaient tellement leurs robots qu’ils préféraien­t envoyer un de leurs collègues sur une tâche dangereuse plutôt que de risquer de casser leurs robots. Il faut absolument éviter ça.

 ??  ?? La série, dont la première saison s’achève, pose les questions de la « conscience » des robots.
La série, dont la première saison s’achève, pose les questions de la « conscience » des robots.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France