Métro, boulot, accro
De plus en plus de Français consomment des drogues pour rester performants et supporter leur travail. Au point, parfois, de tomber dans l’addiction.
Nicolas* est tombé dans l’addiction au cannabis dès qu’il a commencé à travailler, à 16 ans, en tant qu’apprenti. « Les journées étaient très longues, je n’arrivais pas à dormir, mon supérieur était vraiment stressant. Je suis passé d’un joint de temps en temps à plus de vingt par jour. J’étais défoncé H24. Quand je fumais, mon travail était mieux fait, je ne stressais pas, j’étais concentré et ordonné. » Antoine*, traducteur, consomme, lui, des dérivés d’amphétamines, pour se « donner un coup de fouet », car il est souvent amené à passer de longues heures devant l’ordinateur, notamment la nuit.
Tous milieux confondus
Cocaïne, cannabis, tranquillisants… Comme ces internautes, de plus en plus de Français ont besoin de drogues pour assurer au travail. « En général, ils travaillent dans des jobs très prenants avec des exigences très fortes, quel que soit le milieu professionnel, souligne Laurent Karila, psychiatre spécialiste des addictions (lire ci-dessous). Mais c’est leur fonctionnement personnel qui fait qu’ils vont consommer pour être plus performants au travail, ils présentent souvent une vulnérabilité préexistante. » Les observateurs en conviennent : les transformations du monde professionnel ont rejailli sur les usages de psychotropes. « Le travail s’est individualisé, l’usage de produits psychoactifs également : les gens consomment souvent seuls et se cachent, observe Renaud Crespin, sociologue au CNRS et coauteur de Se doper pour travailler (Ed. Erès). Ils ne savent plus, ou moins, ce qui est collectivement acceptable. » Autres transformations du travail poussant à une conduite addictive : « L’intensification, le système d’évaluation individuelle, la pression par les objectifs, énumère Renaud Crespin. La réussite est un puissant anxiolytique. Et la peur de perdre son emploi pousse aussi à en rajouter. Aujourd’hui, les injonctions contradictoires s’accentuent. » Pour ces spécialistes, l’urgence est de changer de regard sur ces addictions. « Il faut prendre de la distance avec la notion de drogue qui enferme dans un jugement entre le licite et l’illicite et empêche donc de penser la diversité des usages, critique le sociologue. On se focalise sur l’individu déviant au lieu de se poser la question des raisons de ces consommations, qui ne sont pas toujours des addictions. » C’est justement l’objectif d’une expérimentation menée par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) dans trois régions et dont on connaîtra les résultats fin 2017.