20 Minutes (Nice)

Métro, boulot, accro

De plus en plus de Français consomment des drogues pour rester performant­s et supporter leur travail. Au point, parfois, de tomber dans l’addiction.

- Oihana Gabriel * Les prénoms ont été changés.

Nicolas* est tombé dans l’addiction au cannabis dès qu’il a commencé à travailler, à 16 ans, en tant qu’apprenti. « Les journées étaient très longues, je n’arrivais pas à dormir, mon supérieur était vraiment stressant. Je suis passé d’un joint de temps en temps à plus de vingt par jour. J’étais défoncé H24. Quand je fumais, mon travail était mieux fait, je ne stressais pas, j’étais concentré et ordonné. » Antoine*, traducteur, consomme, lui, des dérivés d’amphétamin­es, pour se « donner un coup de fouet », car il est souvent amené à passer de longues heures devant l’ordinateur, notamment la nuit.

Tous milieux confondus

Cocaïne, cannabis, tranquilli­sants… Comme ces internaute­s, de plus en plus de Français ont besoin de drogues pour assurer au travail. « En général, ils travaillen­t dans des jobs très prenants avec des exigences très fortes, quel que soit le milieu profession­nel, souligne Laurent Karila, psychiatre spécialist­e des addictions (lire ci-dessous). Mais c’est leur fonctionne­ment personnel qui fait qu’ils vont consommer pour être plus performant­s au travail, ils présentent souvent une vulnérabil­ité préexistan­te. » Les observateu­rs en conviennen­t : les transforma­tions du monde profession­nel ont rejailli sur les usages de psychotrop­es. « Le travail s’est individual­isé, l’usage de produits psychoacti­fs également : les gens consomment souvent seuls et se cachent, observe Renaud Crespin, sociologue au CNRS et coauteur de Se doper pour travailler (Ed. Erès). Ils ne savent plus, ou moins, ce qui est collective­ment acceptable. » Autres transforma­tions du travail poussant à une conduite addictive : « L’intensific­ation, le système d’évaluation individuel­le, la pression par les objectifs, énumère Renaud Crespin. La réussite est un puissant anxiolytiq­ue. Et la peur de perdre son emploi pousse aussi à en rajouter. Aujourd’hui, les injonction­s contradict­oires s’accentuent. » Pour ces spécialist­es, l’urgence est de changer de regard sur ces addictions. « Il faut prendre de la distance avec la notion de drogue qui enferme dans un jugement entre le licite et l’illicite et empêche donc de penser la diversité des usages, critique le sociologue. On se focalise sur l’individu déviant au lieu de se poser la question des raisons de ces consommati­ons, qui ne sont pas toujours des addictions. » C’est justement l’objectif d’une expériment­ation menée par l’Agence nationale pour l’améliorati­on des conditions de travail (Anact) dans trois régions et dont on connaîtra les résultats fin 2017.

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Certains se droguent pour rester éveillés, d’autres pour être concentrés.

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