«A chaque révolution féministe, on crie “danger”»
La philosophe réagit après la tribune anti-#MeToo
Dans une tribune dans Le Monde, mardi, une centaine de personnalités féminines ont défendu, en réaction à la campagne #MeToo, la « liberté d’importuner ». Un plaidoyer qui relève d’une « vieille ritournelle philosophique », estime Geneviève Fraisse, philosophe et historienne de la pensée féministe.
Cette tribune s’inscrit-elle dans un courant féministe ou relève-t-elle d’une idéologie de classe ?
La position des signataires est de ne pas être féministes. Elles en ont le droit, il faut qu’il y ait du désaccord entre les femmes. Mais cette tribune livre une position partielle de la société : le viol comme fait divers d’un côté et la séduction de l’autre. Elles se refusent à voir que, ce qui est en cause depuis trois mois, est un système qui consiste à dire que le corps des femmes est à la disposition des hommes. Elles ne s’interrogent que sur les conséquences de la prise de parole qui vont, selon elles, tuer l’amour, le désir et, ce qu’elles mettent au centre, c’est une position de critique morale. Or, ce sont elles qui font de la morale. Elles disent qu’elles vont être censurées, mais elles considèrent que la parole dite « libérée » va trop loin.
Pourquoi, selon vous, ce texte déclenche-t-il de si vives réactions ?
C’est un texte minoritaire (…) et dont le propos paraît dépassé.
L’émancipation de la parole et les dénonciations d’abus relèvent-elles, comme le dit la tribune, d’une forme de puritanisme ?
C’est une ritournelle philosophique. Déjà, au lendemain de la Révolution française s’est posée la question de la perte de la séduction avec l’idée que l’égalité supprimerait l’amour et le sexe. A chaque fois qu’il y a une révolution féministe, on crie « danger ». En réalité, ce texte cache un problème fondamental : comment fait-on pour instaurer une symétrie entre les sexes ? Avant de se ruer vers les conséquences de cette révolte qui interdiraient que l’on se touche, regardons ce qui est en train d’être dit : il s’agit de politique.