20 Minutes (Nice)

Les plaies de la guérilla

Le sort des 8 millions de personnes touchées par le conflit avec les Farc sera l’un des enjeux de l’élection présidenti­elle dimanche

- De notre envoyée spéciale en Colombie, Caroline Girardon

A trois jours du premier tour de la présidenti­elle en Colombie, « 20 Minutes » a rencontré, à l’initiative de Handicap Internatio­nal, des victimes du conflit avec les Farc. La plupart d’entre elles n’ont toujours pas été indemnisée­s.

Xiemna Secue, 33 ans, est l’une des 8 millions de victimes du conflit armé colombien recensées depuis 1985. Elle porte encore les stigmates de l’explosion qui a frappé sa maison le 16 août 2012. Son oeil reste fixe, incapable de suivre le moindre mouvement. A l’époque, cette maman vivait dans la réserve indienne de la commune de Caloto. Le jour du drame, en fin d’après-midi, une grenade a été lancée sur le toit de son habitation. Son fils Sebastian, 5 ans, s’apprêtait à se coucher. Pas le temps de comprendre, ni de réagir. L’arme explose bruyamment dans la chambre de l’enfant. Xiemna, enceinte de sept mois, est violemment projetée par le souffle de la déflagrati­on. La suite n’est que cauchemar. « J’ai commencé à m’évanouir, raconte-t-elle. Je suis restée quinze jours dans le coma. Et à mon réveil à l’hôpital, j’ai appris que ma mère, elle aussi touchée, s’en était sortie. Mais pas Sebastian. Ni mon bébé… »

Six ans plus tard, Xiemna n’éprouve pourtant plus de colère. Les douleurs dans son corps sont quotidienn­es, mais le temps a fini par cicatriser certaines blessures morales. De l’argent, elle n’en a jamais reçu du gouverneme­nt. « Mais ce n’est pas ça qui me comblera », souffle-t-elle.

« L’Etat n’a apporté aucune réparation aux victimes », confirme Sofia Gaviria, la présidente de la Fédération des victimes des Farc. On recense pourtant 268 000 morts, plus de 7 millions de personnes déplacées et environ 46 000 disparues, dans un pays qui reste le deuxième plus miné au monde après l’Afghanista­n. En 2012, le gouverneme­nt de Manuel Santos a fait voter une loi pour créer « la unidad para las victimas », une unité visant à indemniser les victimes de la guérilla. « C’est une loi politicard­e qui a été réalisée pour vendre l’idée selon laquelle les victimes étaient désormais au centre des préoccupat­ions de l’Etat. C’est un instrument de mensonge pour tromper la communauté internatio­nale. », lâche la présidente de la Fédération des victimes, avant d’ajouter : « Aucune de ces mesures n’a été appliquée. En cinq ans et demi, seulement 7 % des victimes ont touché de l’argent. »

Le seul soutien que Xiemna a reçu provient de deux ONG : Tierra de

« La priorité de l’Etat était de signer l’accord de paix avec les Farc. » Sofia Gaviria

Paz et Handicap Internatio­nal lui ont prêté de l’argent pour pouvoir créer une entreprise de production et de vente de yaourts bio. « C’est une façon de les aider à construire leur vie afin qu’ils prennent conscience de leur pouvoir, précise Johana Huertas, chargée de l’aide aux victimes au sein d’Handicap Internatio­nal en Colombie. Beaucoup de communauté­s se plaignent de ne pas avoir été prises en compte dans le processus de paix. Le fait de prendre leur vie en main est une façon de se faire entendre du gouverneme­nt. »

« Les victimes ne sont clairement pas la priorité de l’Etat, qui était de signer l’accord de paix avec les Farc [qui a permis à l’actuel président de décrocher le prix Nobel de la paix en 2016] », appuie Sofia Gaviria. « Il suffirait pourtant de six mois pour indemniser toutes les victimes. Mais encore faut-il en avoir la volonté… » Ce reportage a été écrit dans le cadre d’un voyage effectué à l’invitation de Handicap Internatio­nal.

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Jose Oveimar Indo, victime d’une mine.
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La Colombie reste un pays envahi par les mines.
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 ??  ?? Xiemna Secue (au centre), frappée par une explosion en 2012.
Xiemna Secue (au centre), frappée par une explosion en 2012.

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