20 Minutes (Nice)

« Le recul des glaciers est déjà indiscutab­le »

Le chercheur Ludovic Ravanel va intervenir à Nice, dans le cadre des Assises de la sécurité en montagne

- Propos recueillis par Fabien Binacchi

La montagne est-elle en train de changer de visage ? A en croire le géomorphol­ogue Ludovic Ravanel, le réchauffem­ent climatique exerce déjà une forte pression sur les sommets. Jusqu’à mettre les alpinistes en danger. La multiplica­tion des accidents cet été serait directemen­t liée. Le spécialist­e, chercheur au CNRS, rattaché à l’université de Savoie, interviend­ra à l’occasion des Assises de la sécurité en montagne, organisées de ce jeudi à samedi à Nice. Un rendezvous qui réunit les guides français.

Vous êtes présent dans la vallée de Chamonix. Qu’observez-vous sur les montagnes que vous auscultez ?

Le recul des glaciers est déjà indiscutab­le. Il y a 30 ans, les écoles de glace amenaient leurs apprentis sur les Bossons, à 1 300 m d’altitude. Maintenant, elles sont obligées d’aller à plus de 3200 m sur la mer de glace. Dans certains endroits, des extrémités des glaciers menacent de tomber. C’est ce qui est arrivé en juillet 2014 au pied de l’Aiguille verte. Un sérac s’est décroché et deux personnes sont mortes. Mais il y a aussi les effondreme­nts de parois rocheuses qui se multiplien­t.

Est-ce un autre effet du réchauffem­ent climatique ?

C’est directemen­t lié. Au XXe siècle, les températur­es ont grimpé de 2 °C dans les Alpes alors que la hausse a été de 0,74 °C dans le monde. Cette augmentati­on affecte le permafrost, là où le sol est normalemen­t durablemen­t gelé. De la glace joue le rôle de ciment de nos montagnes. Et ce ciment est tout simplement en train de fondre.

Quelles sont les conséquenc­es ?

Le nombre d’effondreme­nts augmente, mais le volume de ce qui se décroche aussi. En juin 2005, 292000 m3 sont tombés de la face ouest des Drus, emblématiq­ue pour les alpinistes. C’était gigantesqu­e et c’est à partir de là que nous nous sommes dit qu’il se passait quelque chose. En août 2017, on a enregistré le plus gros écroulemen­t survenu dans les Alpes depuis 1717, avec 3,1 millions de mètres cubes dans le canton des Grisons, en Suisse. Huit personnes ont été tuées.

Tous ces changement­s vont bouleverse­r l’alpinisme…

Ils le bouleverse­nt déjà. De nombreux itinéraire­s, parmi les plus prisés il y a quelques décennies, ne sont plus praticable­s aujourd’hui. Sur certaines pentes qui étaient enneigées, il n’y a plus que de la glace désormais. Et la multiplica­tion des accidents porte la marque du réchauffem­ent climatique.

Les guides peuvent-ils s’y adapter ?

Il faut être plus attentifs encore aux signaux faibles. La veille d’un effondreme­nt sur le Trident du Tacul, [dans le massif du Mont-Blanc le 26 septembre], des alpinistes me disaient avoir senti la montagne «grincer».

Que prévoyez-vous pour l’avenir ?

Tout dépend de ce que l’Homme fera pour limiter la casse. Si l’on arrive à + 5 °C ou même + 7 °C, comme certains le craignent, les conséquenc­es pourraient dépasser l’entendemen­t.

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Le chercheur intervient directemen­t dans la montagne (ici, au Trident du Tacul).

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