« Le recul des glaciers est déjà indiscutable »
Le chercheur Ludovic Ravanel va intervenir à Nice, dans le cadre des Assises de la sécurité en montagne
La montagne est-elle en train de changer de visage ? A en croire le géomorphologue Ludovic Ravanel, le réchauffement climatique exerce déjà une forte pression sur les sommets. Jusqu’à mettre les alpinistes en danger. La multiplication des accidents cet été serait directement liée. Le spécialiste, chercheur au CNRS, rattaché à l’université de Savoie, interviendra à l’occasion des Assises de la sécurité en montagne, organisées de ce jeudi à samedi à Nice. Un rendezvous qui réunit les guides français.
Vous êtes présent dans la vallée de Chamonix. Qu’observez-vous sur les montagnes que vous auscultez ?
Le recul des glaciers est déjà indiscutable. Il y a 30 ans, les écoles de glace amenaient leurs apprentis sur les Bossons, à 1 300 m d’altitude. Maintenant, elles sont obligées d’aller à plus de 3200 m sur la mer de glace. Dans certains endroits, des extrémités des glaciers menacent de tomber. C’est ce qui est arrivé en juillet 2014 au pied de l’Aiguille verte. Un sérac s’est décroché et deux personnes sont mortes. Mais il y a aussi les effondrements de parois rocheuses qui se multiplient.
Est-ce un autre effet du réchauffement climatique ?
C’est directement lié. Au XXe siècle, les températures ont grimpé de 2 °C dans les Alpes alors que la hausse a été de 0,74 °C dans le monde. Cette augmentation affecte le permafrost, là où le sol est normalement durablement gelé. De la glace joue le rôle de ciment de nos montagnes. Et ce ciment est tout simplement en train de fondre.
Quelles sont les conséquences ?
Le nombre d’effondrements augmente, mais le volume de ce qui se décroche aussi. En juin 2005, 292000 m3 sont tombés de la face ouest des Drus, emblématique pour les alpinistes. C’était gigantesque et c’est à partir de là que nous nous sommes dit qu’il se passait quelque chose. En août 2017, on a enregistré le plus gros écroulement survenu dans les Alpes depuis 1717, avec 3,1 millions de mètres cubes dans le canton des Grisons, en Suisse. Huit personnes ont été tuées.
Tous ces changements vont bouleverser l’alpinisme…
Ils le bouleversent déjà. De nombreux itinéraires, parmi les plus prisés il y a quelques décennies, ne sont plus praticables aujourd’hui. Sur certaines pentes qui étaient enneigées, il n’y a plus que de la glace désormais. Et la multiplication des accidents porte la marque du réchauffement climatique.
Les guides peuvent-ils s’y adapter ?
Il faut être plus attentifs encore aux signaux faibles. La veille d’un effondrement sur le Trident du Tacul, [dans le massif du Mont-Blanc le 26 septembre], des alpinistes me disaient avoir senti la montagne «grincer».
Que prévoyez-vous pour l’avenir ?
Tout dépend de ce que l’Homme fera pour limiter la casse. Si l’on arrive à + 5 °C ou même + 7 °C, comme certains le craignent, les conséquences pourraient dépasser l’entendement.