En trente ans, le Web s’est perdu dans sa toile
Certains des créateurs de la Toile souhaitent un retour aux sources. Mais pas tous
Trente ans déjà… Le World Wide Web (« la toile d’araignée à l’échelle mondiale »), plus communément appelé le Web ou la Toile, célèbre ce mardi 12 mars un 30e anniversaire en demi-teinte. Car l’utopie des débuts a en effet laissé place à une certaine forme de désillusion. Cette invention collaborative est issue « d’idées développées par d’autres [comme l’hypertexte] », rappelle Valérie Schafer, chargée de recherche au CNRS. « L’initiative de Tim BernersLee (lire l’encadré) était complètement désintéressée, cela correspondait à l’esprit de l’époque d’un monde ouvert à tous, accessible au grand public. » La Toile s’est ensuite « tissée » à une vitesse exponentielle dans les années 1990. Les services marchands (Amazon, eBay, Google...) ont vite pris le dessus, suivis des réseaux sociaux dès 2004. « On a assisté à un enrichissement spectaculaire d’offres de services du Web. Puis les Gafam [Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft] se sont imposés, créant un système socio-économique mettant en péril la créativité et la diversité du Web», explique Valérie Schafer. « La centralisation du réseau s’est imposée, regrette le Français Jean-François Groff, l’un des pionniers du World Wide Web, qui travailla avec Tim Berners-Lee au Cern. Philosophiquement, c’est à l’inverse de ce qu’on prônait à l’origine. » Mais c’est aussi grâce à ces géants marchands que le Web est rapidement devenu un outil de partage à l’échelle mondiale, indispensable aujourd’hui à plus 4 milliards de personnes. « Dès le départ, nous avions conscience de cette dimension planétaire, explique Jean-François Groff. Après, nous n’avions peut-être pas mesuré tout l’impact que notre création allait avoir sur notre société, sur le monde entier. Nous avons été complètement dépassés par cet outil. » Dark Web, cybercriminalité, fake news, vols de données personnelles… Beaucoup considèrent que l’esprit initial du Web a été dévoyé. Dans une tribune publiée le 6 décembre par le New York Times, Tim Berners-Lee constatait lui-même que « le Web [avait] été détourné par des escrocs et des trolls ». Engagé dans un combat pour «sauver le Web », il réclame aujourd’hui un «contrat pour le Web», basé sur un accès pour tous et le respect de la vie privée. Une solution à laquelle n’adhère pas Jean-François Groff, aujourd’hui consultant en systèmes d’information en réseaux. « Notre vision de l’époque, d’un monde connecté, a été réalisée. Il faut aujourd’hui accepter les bons comme les mauvais côtés. »
Hakima Bounemoura
« Cela correspondait à l’esprit de l’époque d’un monde ouvert à tous.» Valérie Schafer, CNRS
Un système « détourné par des escrocs et des trolls ». Tim Berners-Lee, son inventeur