20 Minutes (Nice)

« Cette odeur de brûlé ne me quittera jamais »

Des proches des victimes de l’incendie du Cuba Libre ont témoigné jeudi

- De notre envoyée spéciale à Rouen, Hélène Sergent

Au moment de la suspension, un soupir s’échappe du public. L’air a parfois manqué tant la violence, la peine ou la haine ont submergé la salle d’audience. Pendant près de trois heures, jeudi, les familles de plusieurs des jeunes victimes de l’incendie du bar Le Cuba Libre ont livré au tribunal le récit de leur vie d’après. Celle entamée après l’annonce de la mort de leur proche, cette nuit du 5 au 6 août 2016, dans l’incendie de cet établissem­ent de Rouen (Seine-Maritime). «Lorsque je suis entrée dans cette pièce blanche, j’ai découvert ma poupée, se souvient, en larmes, la maman d’Ophélie, qui a péri cette funeste nuit. Toute noire. Ses yeux étaient brûlés, je ne voyais plus ses cheveux blonds. Cette odeur de brûlé, quand je l’ai embrassée, ne me quittera jamais.» Agées pour la plupart de 18 à 25 ans, les victimes – 14 sont décédées, 5 ont été grièvement blessées – ont été prises au piège dans l’incendie du sous-sol du bar. Recouverte d’une mousse isolante particuliè­rement inflammabl­e, cette pièce disposait d’une issue de secours. Elle était restée verrouillé­e, «par oubli», a reconnu l’un des deux ex-gérants du Cuba

Libre (les frères Nacer et Amirouche Boutrif), jugés depuis lundi.

Pour tenter de dire l’indicible, certains ont couché sur papier les mots qu’ils voulaient adresser au tribunal. D’autres étaient épaulés par leur psychologu­e. Une famille s’est, elle, avancée d’un bloc. Debout sur la petite estrade en bois, les parents de Florian peinent à contenir leur colère. «Notre fils avait la vie devant lui, une petite amie, partie avec lui, des potes. Il venait d’obtenir son bac carrossier avec mention bien», énumère sa mère avant de tonner : « Aujourd’hui, il est allongé 3 m sous terre! Les joies? Terminées. Les rires? Terminés. Il ne reste qu’une chaise vide et une chambre bien rangée.»

Au néant s’ajoutent les questions. Ophélie, qui fêtait ses 20 ans ce soir-là, avait un frère âgé de 9 ans. « J’ai dormi

avec lui pendant un an, explique sa mère. Il rêvait de la mort. Il me dit qu’il aimerait avoir un escalier pour lui faire un bisou jusqu’au ciel. Qu’est-ce que je peux lui dire à ce petit garçon?» Restent alors les souvenirs, que tous ont tenté de raviver face aux prévenus. Passionnée d’animaux, Julie était toujours « entourée de ses copines». Mavrick aimait partir en vadrouille à moto. David et Steeve «adoraient la fête, pas trop l’école». Nacer et Amirouche Boutrif ont écouté, tête baissée, cachée dans leurs mains. A la question, sans cesse répétée par les proches des victimes : «Pourquoi l’issue de secours était verrouillé­e?», le cadet, Amirouche, n’a pas su répondre. Dans un dernier mot adressé au tribunal, il a bafouillé : «On est des humains. L’erreur est humaine. »

« Cette odeur de brûlé, quand je l’ai embrassée, ne me quittera jamais. »

La mère d’une victime

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Quatorze jeunes gens sont décédés dans la nuit du 5 au 6 août 2016, à Rouen.

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