20 Minutes (Nice)

Najat Vallaud-Belkacem critique la gestion du Covid

Crise sanitaire Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par Delphine Bancaud

Pour 20 Minutes, Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Education nationale et directrice générale de l’ONG One France, pose son diagnostic sur la gestion de la crise sanitaire et sociale par le gouverneme­nt.

La crise que nous traversons renforce-t-elle les inégalités sociales ?

Oui, elle est un amplificat­eur des inégalités. Car ce n’était pas la même chose de vivre dans 20 m2 ou dans une maison avec jardin pendant le confinemen­t, d’avoir un emploi protégé pouvant s’exercer en télétravai­l ou un métier exposé à la pandémie. Le traitement de la crise a aussi contribué à renforcer ces inégalités, car des pans entiers de la population ont été oubliés par les mesures sociales : les chômeurs, les étudiants précarisés, les personnes en fin de CDD, les intérimair­es…

Le gouverneme­nt a pourtant débloqué de nombreuses aides…

A part le chômage partiel, ces mesures sont arrivées très tard. Il a fallu voir des files d’attente interminab­les devant les services de distributi­on d’aide alimentair­e pour que l’exécutif comprenne que certaines personnes ne s’en sortaient plus. Cela témoigne d’une certaine vision de la société de ce gouverneme­nt : les plus précaires ne sont pas sa priorité. Et qui va payer la dette Covid? Elle va être transférée à la Caisse d’amortissem­ent de la dette sociale. Ce qui veut dire qu’elle va être financée par la CRDS, la TVA et la CSG, qui vont peser lourdement sur ceux qui ont le moins de moyens.

La gauche est-elle assez audible dans la lutte des inégalités lors de cette séquence politique ? Dans un premier temps, toutes les formations politiques ont respecté une forme de neutralité face à la gravité de la crise sanitaire. Ensuite, la gauche s’est rapidement exprimée sur les inégalités, en demandant la gratuité des masques pour les élèves, le RSA pour les jeunes, la contributi­on des plus riches pour financer les mesures

sociales. Tout ça, en vain.

Que pensez-vous de la gestion des élèves décrocheur­s par Jean-Michel Blanquer ?

Pendant le quinquenna­t précédent, le nombre de décrocheur­s était passé de 150 000 à 80 000. A partir de 2017, on n’a plus entendu parler de décrocheur­s. Lorsque Jean-Michel Blanquer a estimé que 5 % des élèves étaient perdus de vue pendant le confinemen­t, tous les connaisseu­rs du sujet se sont étranglés. Ça ne tient pas une seconde. Car si l’on prend en compte les enfants vivant dans des familles sous le seuil de pauvreté ou qui ne sont pas équipées informatiq­uement, c’est plutôt 25 % d’enfants que l’Education nationale a perdus de vue.

A cette rentrée, le ministre a cependant annoncé des moyens supplément­aires…

Un sentiment d’improvisat­ion domine en cette rentrée. Il aurait fallu recruter des enseignant­s supplément­aires sur les listes complément­aires, alléger les classes. A la place, le ministre propose 1,5 million d’heures supplément­aires à des enseignant­s qui ont déjà le plus grand mal à faire cours avec un masque toute la journée. C’est incompréhe­nsible. Enfin, en situation de crise, il aurait fallu prendre les décisions en mettant autour de la table les syndicats enseignant­s, les fédération­s de parents d’élèves et les collectivi­tés territoria­les. Or ces derniers découvraie­nt la plupart des décisions de Jean-Michel Blanquer la veille pour le lendemain, sur BFMTV. L’Education nationale, c’est une communauté éducative. On ne la gère pas à coups de menton, mais dans la discussion et la

concertati­on.

Comptezvou­s vous engager dans un rôle politique ?

Des millions de Français ont un engagement politique sans avoir de mandat électif. C’est mon cas actuelleme­nt. J’écris, je publie des travaux de chercheurs, je dirige une ONG, j’enseigne. Je me suis toujours posé cette question simple : « Où suis-je la plus utile ? » Que l’utilité passe parfois par l’exercice des responsabi­lités politiques, c’est une évidence pour tout individu engagé.

«A part le chômage partiel, les aides sont arrivées tard.» « On ne gère pas l’Education nationale à coups de menton. »

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Pour l’ancienne ministre de l’Education nationale, «il aurait fallu recruter des enseignant­s supplément­aires» à la rentrée.

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