«Le système actuel a détruit des vies», estime Jem Bendell
Collapsologie Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société
L’effondrement est la fin irréversible de nos modes de vie : sécurité, santé, identité, plaisir… C’est la prophétie de Jem Bendell, spécialiste de l’environnement et du développement durable et auteur d’Adaptation radicale (Les Liens qui libèrent), qui prévoit ce beau programme pour 2028. L’article original, « Deep adaptation », est devenu un véritable phénomène lors de sa publication en 2018 et a inspiré le mouvement de désobéissance civile Extinction Rebellion.
Quels sont les liens d’Extinction Rebellion avec le mouvement Deep Adaptation ?
Ce sont deux mouvements distincts qui se rejoignent sur un constat d’échec de l’environnementalisme. Extinction Rebellion se concentre sur une action directe et non violente pour contraindre les gouvernements à la neutralité carbone, tandis que Deep Adaptation pense qu’il est trop tard pour sauver la société dans laquelle on vit. De nombreuses personnes font partie de ces deux mouvements. Si vous pensez que l’effort général en faveur de l’environnement a échoué, qu’il est inutile de réformer le système capitaliste pour atteindre la durabilité, alors il est naturel de vous engager pour la neutralité carbone et de vous préparer aux perturbations futures.
La crise du coronavirus est-elle un premier pas vers l’effondrement de la société, qui devrait avoir lieu d’ici à huit ans selon vous ?
Je n’ai pas de boule de cristal. Si c’est un premier pas vers l’effondrement, c’est en partie lié au climat. Le changement climatique ajouté à l’érosion de la biodiversité et à la dégradation des écosystèmes rend les zoonoses [les maladies provenant des animaux] plus probables. Si le Covid-19 crée l’effondrement, cela passe par des processus politiques et économiques. Nous observons de plus en plus de personnes issues des classes populaires, dans de nombreux pays, se réclamer des antimasques, des anticonfinements. Si vous regardez de plus près, elles sont souvent associées à l’extrême droite. L’un des impacts du Covid-19 pourrait être une déstabilisation politique des pays européens.
Vous dites que s’exiler au milieu de nulle part pour chercher l’autosuffisance revient à une conception survivaliste des choses...
Je ne décourage pas les gens qui veulent partir à la campagne pour cultiver leur potager et trouver leur propre source d’eau. Je les invite à prendre conscience que ça ne veut pas dire qu’ils survivront si la société s’effondre, parce que, même si on fait cela, on repose encore sur la société industrielle. Vivre en ville pourrait s’avérer moins dangereux si le gouvernement approvisionne les gens en aliments de base. Vous avez plus de chances de les récupérer dans une ville qu’au milieu de nulle part. J’encourage les gens à arrêter de penser de façon individualiste et à privilégier une réflexion sur ce qu’on peut faire collectivement.
Dans deux ou trois ans, parlerons-nous de 2020 comme du « bon vieux temps » ?
Il faut arrêter de penser qu’on peut parler pour nous tous. Cette question est une tentative patriarcale d’accéder à un savoir universel sur la condition humaine. Et cette idéologie est la racine de notre destruction. Nous devons reconnaître que chaque individu a une expérience unique de ce monde. Certaines personnes se diront que 2020, c’était leur meilleure année. D’autres personnes seront mortes ou seront enfermées dans la dépression parce qu’elles auront perdu des êtres chers en 2020.
Le bonheur existera-t-il après l’effondrement ?
Oui, et dans certains cas encore plus. Nous devons nous souvenir que de nombreuses personnes souffrent déjà de notre système. Il existe des villages de pêcheurs qui ont toujours attrapé, mangé et vendu leurs poissons et, d’un coup, cela ne leur rapporte plus rien à cause de la pêche industrielle, à cause de l’appétit de capitalistes et de banquiers à des milliers de kilomètres. De nombreuses vies ont été détruites par le système actuel. Tout ne sera pas mauvais.
« J’encourage les gens à arrêter de penser de façon individualiste. » « Des vies ont été détruites par le système actuel. »