Des dîners trop riches
La rumeur autour d’une supposée participation de ministres à des repas clandestins fait resurgir la détestation des élites, en temps de crise.
Diffusé vendredi, un reportage de M6 sur un luxueux restaurant clandestin à Paris a enflammé le week-end de Pâques. Une colère amplifiée par les propos du collectionneur PierreJean Chalençon dans le document : « J’ai dîné cette semaine dans deux ou trois restaurants qui sont soi-disant des restos clandestins, avec un certain nombre de ministres.» (Lire l’encadré.) Ce week-end, 190000 tweets ont été publiés derrière le hashtag #OnVeutLesNoms autour des ministres supposément concernés et 32 000 sur #MangeonsLesRiches. Pourquoi une haine aussi forte alors que, pour le moment, aucune preuve n’atteste la présence de ministres?
«Besoin de défouloir»
«L’époque est si difficile à vivre avec le coronavirus que les gens ont besoin de défouloir, explique Robert Zuili, psychologue et spécialiste des émotions sociales. Toute occasion est bonne à prendre pour extérioriser la colère.» Une absence de preuve d’autant plus reléguée au second plan que le scénario (des ministres allant dans des dîners cachés du reste de la société) colle avec les théories complotistes sur les élites. William Genyes, politologue à Sciences po, atteste : «Les gens se jettent dedans car ils ont envie d’y croire, qu’importe si c’est faux, c’est plaisant et soulageant de penser que ça a lieu.»
Au-delà des repas, c’est surtout cette ambiance du monde d’avant qui suscite la jalousie. « Il y a le sentiment que, avec ces restaurants clandestins, les riches peuvent s’offrir un déni de réalité, vivre en dehors de la crise sanitaire, et faire comme si tout cela n’existait pas », note Robert Zuili. Après des mois de restrictions, c’est bien l’insouciance qui énerve le plus.
Dans un contexte psychique très tendu, « les gens sont à cran et se jettent sur tout sentiment d’injustice ou tout comportement qu’ils ne s’autorisent pas », résume le psychologue. Avant les riches dans les restaurants clandestins, les Parisiens en exil ou les joggeurs subirent l’ire, au moins virtuelle, de la foule. A qui le tour ?