Mauvais clients Le télétravailleur, nouvel ennemi des cafés
Le salarié travaillant à distance est devenu la hantise de certains lieux de restauration
Christophe a un énorme défaut. Il s’assoit dans un café pendant quatre heures pour télétravailler avec un seul expresso commandé, et tape silencieusement sur son ordinateur toute la matinée. Tout juste détourne-t-il les yeux de son écran pour lancer un regard noir à un couple qui parle trop. Depuis la crise du Covid19 et l’explosion du télétravail – qui concernait 4 % des salariés en 2019, contre 30 % aujourd’hui –, les gens sont de plus en plus nombreux à travailler depuis les cafés et les restaurants. Trop nombreux au goût de Jean-Baptiste, cogérant de Café Dose Paris, qui a décidé de purement interdire les ordinateurs dans ses établissements. La doctrine « a fait beaucoup de déçus », reconnaît-il. Mais en cette matinée de novembre, il lui suffit de jeter un oeil à sa salle côté Batignolles pour ne pas avoir de regret. Ici, ça papote, ça ingurgite des litrons de café et ça résonne d’éclats de rire. « On ne voulait pas d’un lieu fantôme et aseptisé où personne ne se parle et où on entend juste les clics des souris, reprend JeanBaptiste. Le but d’un café, c’est d’offrir aux gens leur meilleur moment de la journée, et c’était une mission impossible en côtoyant des gens silencieux sur leur ordi. » Camille, télétravailleuse de son état, l’a aussi remarqué. « On est très mal accueillis dès qu’on dégaine un ordinateur, témoigne-telle. Avant, j’allais au café du coin, mais à force d’avoir des mauvais regards ou des injonctions à consommer, je préfère rester chez moi. » À regret : « Au boulot, l’ambiance est naze et toxique, et il y a toujours des travaux dans mon immeuble. »
Une cohabitation reste possible
À La Compagnie du café (Paris 9e), on continue d’accueillir les télétravailleurs. « Les gens viennent télétravailler ici justement pour avoir l’ambiance d’un café, ils cherchent à la préserver », sourit Romain. La récente faillite de WeWork, entreprise spécialiste du coworking, démontre selon lui sa théorie : « Si les gens ne travaillent ni chez eux ni dans l’open space, ce n’est pas pour télétravailler dans un endroit qui ressemble à un bureau. »
Ces homo numericus pourraient même être une sacrée aide pour ces cafés, selon Bernard Boutboul, président de Gira, cabinet spécialiste de la restauration. « Il n’y a personne entre 14 heures et 17 heures dans les cafés, et le modèle est en train de s’effondrer, défend-il. Au lieu de chasser les télétravailleurs, les établissements devraient les accueillir comme un salut économique. »