20 Minutes (Paris)

« Je me sens si petit par rapport à Rodin »

Dans un film présenté à Cannes, l’acteur joue le sculpteur du XIXe siècle

- Propos recueillis par Stéphane Leblanc, à Cannes

Oubliez ce qu’il vous reste du

Camille Claudel de Bruno Nuytten, avec Gérard Depardieu dans le rôle du sculpteur Rodin. Outre l’histoire racontée d’un autre point de vue, l’interpréta­tion est radicaleme­nt différente. A l’artiste beau parleur et sûr de son talent, Vincent Lindon oppose un Rodin plus sombre, plus intense et hanté par son art dans le film de Jacques Doillon, présenté à Cannes. L’acteur explique comment il a endossé ce personnage hors du commun…

Vous imaginiez-vous un jour dans le rôle de Rodin ?

Non, jusqu’à ce que Jacques Doillon m’implique dans son projet de documentai­re pour le centenaire de Rodin, projet qui a glissé progressiv­ement vers la fiction pour laquelle il m’a dit n’avoir à l’esprit qu’un visage pour incarner le sculpteur, le mien. « Et si par malheur tu refusais le rôle, je ne ferais pas le film », m’a-t-il dit en m’envoyant 50 pages, avec quelques phrases de dialogue par-ci par-là pour donner le ton. Je me suis tout de suite décidé. Pour le personnage, forcément fascinant à interpréte­r, mais aussi pour Jacques Doillon, le fait que ce soit lui…

Comment avez-vous appréhendé et préparé ce rôle ?

Jacques est une personne incroyable. Il laisse les choses venir. Par exemple, je n’ai pas le souvenir qu’il m’ait jamais demandé de me laisser pousser la barbe. Si je n’avais pas décidé de me la laisser pousser, je ne sais pas comment on aurait fait. Il ne m’a jamais demandé de prendre des cours de sculpture, je l’ai fait de ma propre initiative. Il ne m’a jamais demandé d’aller au musée Rodin, cela allait de soi. Le poil de ma barbe poussait, mes mains pétrissaie­nt de la terre et mes semelles s’usaient à force de visiter le musée. C’est comme ça que je suis entré dans le personnage.

En quoi votre interpréta­tion diffère de celle de Gérard Depardieu, qui montre peu Rodin au travail, mais très sûr de lui ?

Déjà, Rodin était double : l’homme public – timide, qui parlait dans sa barbe – et l’artiste – qui pouvait être impitoyabl­e avec lui-même et avec les autres, ses ouvriers ou ses élèves. Camille Claudel, il était amoureux d’elle, mais il voyait surtout leur relation à travers le travail. L’important, c’était de dépasser ses limites en poussant son art toujours plus loin, le reste était secondaire. C’était un homme décevant. Il ne tenait pas ses promesses. Sa cruauté, c’était qu’il ne pensait qu’au travail. Tout ce qui l’empêchait de travailler ou qui faisait perdre du temps, il l’évacuait. C’était un génie qui faisait le malheur autour de lui.

Pourquoi l’intrigue se focalise-t-elle autour de la statue de Balzac ?

Parce que c’était l’oeuvre de sa vie. Il a eu du mal à l’imposer, l’Académie lui demandait de raccourcir ses testicules, de couvrir son ventre… On s’est beaucoup moqué de lui. Mais on s’accorde à dire aujourd’hui que c’est le point de départ de la sculpture moderne. Avant Rodin, les écrivains étaient systématiq­uement sculptés dans un fauteuil avec une plume et un encrier dans les mains… Et voilà son Balzac représenté nu, sans aucun de ces attributs.

Pensez-vous que ce rôle restera comme l’un des plus marquants de votre carrière ?

C’est la première fois que je me sens aussi petit par rapport à l’immensité du personnage que je joue. On n’a vraiment rien à voir, lui et moi. J’ai bien conscience que je ne mériterai jamais de recevoir les mêmes honneurs que lui.

Et pourtant, vous allez monter les marches à Cannes et, qui sait, recevoir un deuxième prix d’interpréta­tion…

Enfin, vous ne pouvez pas comparer. Je n’ai pas, à ma connaissan­ce, fait un chef-d’oeuvre dont on parlera encore cent ans après ma mort… Et personne ne va dire que ce mercredi 24 mai 2017 a marqué la naissance du cinéma moderne. Quant à la montée des marches, j’aurai la chance de pouvoir me cacher dans le costume de Rodin. J’espère que la projection va bien se passer, mais je ne vais pas me mettre la pression parce que tout cela ne dépend pas de moi.

« Je me sens petit par rapport à l’immensité du personnage. »

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L’acteur a appris la sculpture et étudié l’oeuvre de l’artiste.
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