Des trous d’air en plein vol
Au saut à ski, les meilleurs mondiaux peuvent devenir quelconques d’une année à l’autre
Dans la grande famille des athlètes olympiques increvables, on demande Noriaki Kasai. Le sauteur japonais de 45 ans dispute, les huitièmes JO de sa carrière. Brillant. Etonnant. Contradictoire, même, dans un sport où il est plus courant d’exceller pendant deux ou trois ans, avant de redevenir quelconque. Les légendaires Schmitt et Hannawald en sont les meilleurs exemples : le saut à ski (le grand tremplin à suivre ce vendredi à 13 h 30) est une lutte perpétuelle.
Un combat entre l’athlète et son
corps. Coline Mattel, seule médaillée française de la discipline (bronze à Sotchi), est le modèle le plus frappant. « Après les Jeux, elle a eu du mal à tenir son niveau de poids, confie son premier coach, Thierry Revillod. C’est souvent plus dur chez les filles. » Avant Sotchi, déjà, elle avait dû consentir à d’énormes sacrifices : l’adolescence avait engendré des transformations qui lui avaient fait prendre des kilos indésirables. A la longue, ce n’est pas soutenable. « Ça fait trois ans que je tire sur la corde, que je manque d’énergie, ajoute Vincent Descombes-Sevoie, le leader français de saut à ski. Il faut faire gaffe à bien manger et ce n’est pas évident. »
Un instinct à garder. « Tout se joue au niveau des sensations en quittant le tremplin », explique l’ancien spécialiste du combiné nordique Fabrice Guy. Il y a un côté mystique, au moment où l’on quitte la table. Quelque chose d’insaisissable. « On appelle ça le trou noir, on ne réalise pas trop ce qui se passe, résume Nicolas Dessum, premier Français à avoir remporté une épreuve de Coupe du monde, en 1995. Quand on réfléchit trop, c’est à ce moment-là que tout se passe moins bien. Des sauteurs plus instinctifs, sur une période donnée, vont très bien sauter, parce qu’ils sont en confiance. Mais si les sensations sont perdues, ça va être dur à reproduire. »
Une hantise de la chute. Fin novembre 2017, Jason Lamy-Chappuis perdait le contrôle dans les airs. « C’est une des plus grosses chutes que j’aie eues, j’ai failli partir en salto avant, raconte le porte-drapeau à Sotchi. Les quinze jours suivants, je pensais plus à ne pas tomber, plutôt qu’à essayer d’être performant. » Certains n’ont pas réussi à surmonter leur peur, comme Thomas Morgenstern, triple champion olympique, qui a connu une chute affreuse en 2014. « Après être tombé, on essaie forcément de se mentir, de se rassurer, de se dire que ce n’est pas grave. Mais ce n’est plus pareil », conclut Fabrice Guy.