20 Minutes (Paris)

L’amère pilule des expertises

- Propos recueillis par O.G. et V.V.

Les victimes de médicament­s paient souvent le prix fort pour défier les laboratoir­es. Une pneumologu­e et un avocat interpelle­nt à ce sujet la ministre de la Santé Agnès Buzyn.

La lanceuse d’alerte Irène Frachon, pneumologu­e, et l’avocat Charles Joseph-Oudin expliquent à 20 Minutes pourquoi ils interpelle­nt Agnès Buzyn.

En quoi le coût des expertises judiciaire­s est-il un frein pour les victimes des médicament­s ? Charles Joseph-Oudin. C’est le nerf de la guerre ! L’expertise est indispensa­ble à une victime qui souhaite lancer un procès et être indemnisée. Celle de Marine Martin, victime de la Dépakine, a dépassé les 20 000 € ! C’est une somme astronomiq­ue. Irène Frachon. En gros, c’est le pot de terre contre le pot de fer. D’un côté, les laboratoir­es ont des moyens illimités pour organiser leur défense. De l’autre, les personnes sont malades et fragiles. Elles doivent avancer l’argent et ensuite patienter des années pour obtenir gain de cause. Mais n’est-ce pas normal qu’un plaignant paie pour démontrer la responsabi­lité d’un laboratoir­e qu’il accuse ? D’autant qu’il est remboursé si la justice reconnaît son préjudice…

C.J.-O. En effet, la justice aide celui qui gagne ! Mais aller dire aux familles du scandale Dépakine, qui doivent élever des enfants autistes, qu’elles ne seront remboursée­s que dans des années et qu’en cas de victoire judiciaire… En France, le principe veut que le demandeur avance les frais. Mais si la victime n’a pas les moyens de payer cette expertise, il n’y a pas de procès. Et les laboratoir­es ne sont pas inquiétés.

Que proposez-vous exactement ? C.J.-O. De créer un juge des victimes éventuelle­ment aidé d’un médecin. Ce serait à lui d’ordonner les expertises, d’en faire supporter le coût équitablem­ent entre les victimes et les laboratoir­es. Il serait le garant de l’accès à la justice des malades. I.F. Je n’y crois pas ! On va nous répondre que la justice n’a pas les moyens. Pourquoi ne pas créer un fonds de type assurantie­l plutôt ? Pour chaque médicament vendu, on prélèverai­t 1 € qui servirait à payer ces frais d’expertises et avancer des indemnisat­ions pour les victimes. Une sorte de taxe ? Ce serait donc aux contribuab­les de payer plutôt qu’aux laboratoir­es ?

C.J.-O. Il vaut mieux de l’argent public que pas d’argent ! On ne peut pas continuer avec des bricolages comme c’est le cas aujourd’hui avec la Dépakine! Les enfants de Marine Martin ont besoin d’aide maintenant, pas dans dix ans !

Donc, outre les frais d’expertises, cette taxe pourrait servir à indemniser les victimes dont le préjudice a été finalement reconnu ? I.F. Oui. L’Office national d’indemnisat­ion des accidents médicaux (Oniam) est dans une situation contradict­oire : comme il est responsabl­e de fonds publics, il a intérêt à indemniser le moins possible. C.J.-O. Pour le réformer, il faut une impulsion de la ministre de la Santé. Que lui réclamez-vous ?

C.J.-O. Sur le même principe que l’indemnisat­ion des victimes de terrorisme ou des accidents de la route, simplifion­s les procédures. Est-ce qu’on prend 1 € par médicament vendu sur le patient, le laboratoir­e ou les assurances ? Cela ne mettrait pas les labos à genoux et ils en sortiraien­t grandis. Aujourd’hui, la société française se méfie des laboratoir­es. Regardez le débat sur les vaccins ! S’ils garantissa­ient une indemnisat­ion en cas de problème, cela pourrait changer. Les victimes de médicament­s, c’est tout le monde…

« Si la victime n’a pas les moyens de payer l’expertise, il n’y a pas de procès. »

Charles-Joseph Oudin

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Certaines victimes de la Dépakine ont dû financer leur expertise judiciaire.
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