20 Minutes (Paris)

Les victimes de viol digital à l’épreuve des tribunaux

A l’image du cas d’Amélie*, de nombreuses plaintes pour viol digital sont correction­nalisées

- Caroline Politi * Le prénom a été changé.

« Je l’ai senti caresser à l’intérieur de moi. J’ai senti des doigts et ses ongles. » C’est par ces mots, ceux d’une ado alors âgée de 14 ans, qu’Amélie* a expliqué dans sa plainte ce dont elle accusait un ami de son père. Une pénétratio­n digitale, un acte dont elle n’avait à l’époque pas conscience qu’il relevait du viol. La jeune fille a même tenté d’enregistre­r des aveux (lire ci-dessous). Mais, fin avril, après deux ans d’instructio­n, la plainte pour viol a été disqualifi­ée en « agression sexuelle », un délit donc, et non plus un crime.

« J’ai l’impression que, cette décision, ça signifie que je suis une demi-victime», déplore Amélie. L’enquête a bien permis de mettre en lumière des « actes de nature sexuelle » à son encontre, mais aucune « trace objective » de la pénétratio­n digitale n’a été relevée lors de l’examen gynécologi­que. « Il existe un doute », écrit la juge d’instructio­n dans l’ordonnance de disqualifi­cation. Et le doute profite toujours au mis en cause. Amélie et ses parents ont fait appel devant la chambre de l’instructio­n.

« Je n’ai pas de souvenirs d’un procès devant une cour d’assises pour une pénétratio­n digitale », remarque Véronique Le Goaziou. Cette sociologue de la délinquanc­e, chercheuse associée au Lames-CNRS, s’est penchée sur quelque 600 plaintes pour viol afin d’étudier leur traitement judiciaire. Ses travaux ont permis d’établir que les deux tiers des plaintes sont classées sans suite, souvent parce que l’infraction n’est pas suffisamme­nt caractéris­ée. Sur le tiers restant, environ 30 % des affaires sont criminalis­ées, les autres sont renvoyées devant un tribunal correction­nel.

« On envoie aux assises lorsqu’on est quasiment sûr de gagner », abonde une magistrate. Et, pour gagner, s’il n’y a pas d’aveux, mieux vaut être bien armé : ADN, traces de GHB (drogue dite « du violeur »), expertises médicales… C’est là toute la difficulté pour les viols digitaux : dans la majorité des dossiers, ces éléments manquent cruellemen­t. « Si on a plus de chance d’obtenir une condamnati­on en correction­nelle car on estime que l’agression sexuelle est plus qualifiée que le viol, on privilégie cette voie », poursuit un autre magistrat. En clair : mieux vaut une condamnati­on pour agression sexuelle qu’un acquitteme­nt.

Une partie des correction-nalisation­s se fait d’ailleurs d’un commun accord avec les plaignants. La procédure est plus rapide, le procès (un peu) moins éprouvant. L’interpréta­tion d’un jury d’assises est également redoutée. « Dans les représenta­tions collective­s, un viol digital ne va pas être considéré comme aussi grave qu’un viol pénien », assure Véronique Le Goaziou. Bientôt, la question ne se posera peut-être plus. Le gouverneme­nt s’apprête à tester des tribunaux criminels, composés de magistrats profession­nels, sans jurés. Objectif : désengorge­r les cours d’assises, mais également limiter les correc-tionnalisa­tions.

«On envoie aux assises lorsqu’on est quasiment sûr de gagner. »

Un magistrat

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Selon une sociologue, seule une plainte pour viol sur dix aboutit aux assises.

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