Les victimes de viol digital à l’épreuve des tribunaux
A l’image du cas d’Amélie*, de nombreuses plaintes pour viol digital sont correctionnalisées
« Je l’ai senti caresser à l’intérieur de moi. J’ai senti des doigts et ses ongles. » C’est par ces mots, ceux d’une ado alors âgée de 14 ans, qu’Amélie* a expliqué dans sa plainte ce dont elle accusait un ami de son père. Une pénétration digitale, un acte dont elle n’avait à l’époque pas conscience qu’il relevait du viol. La jeune fille a même tenté d’enregistrer des aveux (lire ci-dessous). Mais, fin avril, après deux ans d’instruction, la plainte pour viol a été disqualifiée en « agression sexuelle », un délit donc, et non plus un crime.
« J’ai l’impression que, cette décision, ça signifie que je suis une demi-victime», déplore Amélie. L’enquête a bien permis de mettre en lumière des « actes de nature sexuelle » à son encontre, mais aucune « trace objective » de la pénétration digitale n’a été relevée lors de l’examen gynécologique. « Il existe un doute », écrit la juge d’instruction dans l’ordonnance de disqualification. Et le doute profite toujours au mis en cause. Amélie et ses parents ont fait appel devant la chambre de l’instruction.
« Je n’ai pas de souvenirs d’un procès devant une cour d’assises pour une pénétration digitale », remarque Véronique Le Goaziou. Cette sociologue de la délinquance, chercheuse associée au Lames-CNRS, s’est penchée sur quelque 600 plaintes pour viol afin d’étudier leur traitement judiciaire. Ses travaux ont permis d’établir que les deux tiers des plaintes sont classées sans suite, souvent parce que l’infraction n’est pas suffisamment caractérisée. Sur le tiers restant, environ 30 % des affaires sont criminalisées, les autres sont renvoyées devant un tribunal correctionnel.
« On envoie aux assises lorsqu’on est quasiment sûr de gagner », abonde une magistrate. Et, pour gagner, s’il n’y a pas d’aveux, mieux vaut être bien armé : ADN, traces de GHB (drogue dite « du violeur »), expertises médicales… C’est là toute la difficulté pour les viols digitaux : dans la majorité des dossiers, ces éléments manquent cruellement. « Si on a plus de chance d’obtenir une condamnation en correctionnelle car on estime que l’agression sexuelle est plus qualifiée que le viol, on privilégie cette voie », poursuit un autre magistrat. En clair : mieux vaut une condamnation pour agression sexuelle qu’un acquittement.
Une partie des correction-nalisations se fait d’ailleurs d’un commun accord avec les plaignants. La procédure est plus rapide, le procès (un peu) moins éprouvant. L’interprétation d’un jury d’assises est également redoutée. « Dans les représentations collectives, un viol digital ne va pas être considéré comme aussi grave qu’un viol pénien », assure Véronique Le Goaziou. Bientôt, la question ne se posera peut-être plus. Le gouvernement s’apprête à tester des tribunaux criminels, composés de magistrats professionnels, sans jurés. Objectif : désengorger les cours d’assises, mais également limiter les correc-tionnalisations.
«On envoie aux assises lorsqu’on est quasiment sûr de gagner. »
Un magistrat