20 Minutes (Paris)

Quel bonheur quand l’intelligen­ce artificiel­le fait des erreurs

Une IA commet des erreurs et ça vous fait plaisir ? C’est normal

- Laure Beaudonnet

Observer une machine se planter a tendance à faire naître la même satisfacti­on que quand le premier de la classe se prend une tôle au dernier contrôle de maths. Au moindre faux pas, ça ne loupe pas, les médias parient déjà sur la fin des nouvelles technologi­es et le crash des géants de la Silicon Valley. Aussi, quand l’enceinte intelligen­te

Alexa a le malheur d’enregistre­r une conversati­on privée et de l’envoyer à un destinatai­re de manière aléatoire, comme la semaine dernière

(lire l’encadré), on dégaine l’accusation d’« espionnage ». C’est que nous autres, les humains, prenons un malin plaisir à recenser les failles des machines, comme pour nous convaincre qu’on a (encore) le dessus sur l’intelligen­ce artificiel­le.

Au mois de mai, Elon Musk a d’ailleurs jugé « disproport­ionnée » l’attention des médias pour ses voitures autonomes, notamment en cas d’accident. Quand une Tesla a été impliquée dans une collision mortelle en 2016, l’informatio­n a fait les gros titres. Même emportemen­t de la presse lorsqu’un véhicule autonome d’Uber a tué une piétonne qui traversait en dehors des clous dans une zone non éclairée. Et pourtant, le pilote artificiel est «plus fiable qu’un humain». «Ce n’est pas parce qu’il y a eu un accident que ce sera la fin de la voiture autonome », martelait Laurent Meillaud, expert des technologi­es automobile­s au moment du drame, au mois de mars.

Mais l’homme ne rate pas une occasion de taper sur les machines et Sophia, de Hanson Robotics, illustre bien cet amour-haine. Le robot humanoïde, qui peut imiter 63 expression­s faciales, fascine pour sa ressemblan­ce avec les humains, et son éloquence et, en même temps, met très mal à l’aise. «Les technologi­es créent des sentiments ambivalent­s», confirme le philosophe JeanMichel Besnier, professeur émérite à la Sorbonne, qui évoque la « honte prométhéen­ne » que l’homme éprouve envers les machines. Le concept, élaboré par Günther Anders dans L’Obsolescen­ce de l’homme (1956), désigne la «honte (…) devant l’humiliante qualité des choses qu’il a lui-même fabriquées. » Du coup, quand elles font n’importe quoi, il se sent pousser des ailes. « Les machines nous renvoient à une image d’êtres impuissant­s. Et quand elles révèlent leurs limites, on reprend du poil de la bête. Ça veut dire que nous avons encore de l’avenir », poursuit le philosophe. Mais ne nous habituons pas à cette « satisfacti­on narcissiqu­e », car les intelligen­ces artificiel­les sont de plus en plus sophistiqu­ées et, avec le deep learning, elles apprennent mieux. Elles finiront peutêtre, comme certains l’imaginent, par développer une conscience. Profitez donc bien du plaisir coupable que les robots maladroits vous procurent. Ça ne va pas durer.

«Ce n’est pas parce qu’il y a eu un accident que c’est la fin de la voiture autonome. » Laurent Meillaud, expert

« Les machines nous renvoient à une image d’êtres impuissant­s. » J.-M. Besnier, philosophe

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Le robot Sophia (à g.) nous imite un peu trop bien et l’assistant Alexa nous obéit au doigt et à l’oeil. Autant de raisons de nous moquer de leurs imperfecti­ons.
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