20 Minutes (Paris)

Nettoyer les océans ? La mer à boire

Pour les scientifiq­ues, collecter tous les déchets est illusoire, mieux vaut éviter d’en produire

- Fabrice Pouliquen

Boyan Slat promet « le plus grand nettoyage de l’histoire ». En septembre, cet entreprene­ur néerlandai­s de 23 ans mettra à l’eau une immense barrière flottante en forme de fer à cheval. Sa mission : piéger les plastiques du fameux septième continent, ce vortex de déchets grand comme trois fois la France qui flotte dans le Pacifique nord, entre la Californie et Hawaï. Le projet, baptisé Ocean Cleanup, est on ne peut plus ambitieux : le jeune étudiant-inventeur-écologiste se dit en mesure de nettoyer en cinq ans 50 % de l’océan de déchets, qui en compte, selon une étude publiée en mars, 72000 t. Puis il s’attaquera aux quatre autres vortex du même type dans le monde. Mais, contre toute attente, son optimisme agace les scientifiq­ues.

Tout d’abord, parce que « sa technologi­e ne permettra de collecter que les macroplast­iques», indique Jeff Ghiglione, directeur de recherche en écotoxicol­ogie au CNRS et collaborat­eur de la Fondation Tara Expédition­s. En mer, les plastiques qui ne se dissolvent pas se fragmenten­t en particules inférieure­s à cinq millimètre­s. Or « ce sont elles qui constituen­t l’essentiel de la pollution plastique des mers et des océans », précise le navigateur Patrick Deixonne, fondateur de l’associatio­n Expédition 7e continent. Il s’inquiète par ailleurs «des conséquenc­es sur les écosystème­s » d’un ensemble qu’il compare à « un dispositif de pêche permanent ».

Surtout, «Ocean Cleanup laisse penser qu’on peut nettoyer les océans et que cette pollution plastique est en passe d’être résorbée », insiste Jeff Ghiglione. Lui comme Patrick Deixonne n’en démordent pas : «Les solutions sont à trouver à terre. » Il faut ainsi sensibilis­er les consommate­urs aux emballages superflus, améliorer la collecte et le recyclage des plastiques, ramasser efficaceme­nt les macrodéche­ts dans les cours d’eau… Mais aussi « donner de la valeur aux déchets plastiques», rappelle Jean-Marc Boursier, directeur général adjoint de Suez et président de la Fédération française des activités de dépollutio­n et de l’environnem­ent (Fnade). C’est-à-dire « réussir à instaurer un système dans lequel la valeur de la matière plastique est supérieure au coût de sa collecte et de son recyclage ». C’est le cas aujourd’hui pour l’aluminium ou le cuivre, illustre-t-il.

Yvan Bourgnon, ce navigateur suisse qui planche lui aussi sur une solution visant à collecter les déchets plastiques en mer, voit tout de même un point positif au projet de Boyan Slat : « Celui d’avoir sensibilis­é des millions de personnes à la pollution des océans. »

Ocean Cleanup ne retiendra que les macroplast­iques.

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La barrière flottante conçue par le jeune inventeur écologiste Boyan Slat.

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