Coup de frein pour les plateformes ?
Une décision de la Cour de cassation pourrait pousser les sociétés à revoir leurs rapports avec les auto-entrepreneurs
Le monde des plateformes numériques s’agite depuis la publication, mercredi, d’un arrêt de la Cour de Cassation dans lequel elle donne raison à un ancien coursier de Take Eat Easy. Elle estime que le système de sanction de la plateforme et la géolocalisation permanente du coursier montraient l’existence d’un lien de subordination. Pour la cour, le coursier était de fait un salarié.
Une décision qui interroge sur le futur modèle économique des plateformes. La plupart fonctionnent avec une masse d’auto-entrepreneurs, ce qui leur permet de réduire leurs coûts au maximum, puisqu’elles n’ont pas de cotisations sociales à verser. Les travailleurs, quant à eux, n’ont ni assurance-chômage ni retraite.
« La décision de la Cour de Cassation, c’est une bombe, estime Grégoire Leclercq, président de la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FEDAE). La requalification de tous les auto-entrepreneurs en salariés ne fera que des perdants. D’abord, les travailleurs eux-mêmes, puisque les plateformes n’auront pas les moyens de leur offrir des CDI. Ensuite, les plateformes ne pourront pas supporter les coûts et disparaîtront. Enfin, les consommateurs seront lésés, car ils ont massivement adopté ces services. »
« Mettre la pression »
Les plateformes, elles, préfèrent temporiser. «Nous allons prendre le temps d’étudier les conséquences de cette décision qui concerne Take Eat Easy [aujourd’hui disparue], indique en off le représentant d’un grand acteur du numérique. Nous notons qu’elle se fonde sur la pratique de Take Eat Easy de sanction en cas de non-respect de créneaux horaires de travail.» C’est aussi la lecture qu’en fait Olivier Angotti, avocat associé chez Jeantet et spécialiste du droit du travail. «C’est un avertissement qui est donné aux plateformes : elles ne peuvent plus infantiliser les livreurs et leur imposer un système de sanction trop puissant.» Toutefois, «tous les coursiers ne veulent pas devenir des salariés, prévient Edouard Bernasse, secrétaire général du Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap). Ils tiennent à garder une certaine flexibilité. Ce dont on ne veut plus, c’est d’un donneur d’ordre qui organise tout seul les conditions de travail.» Tous les acteurs sont d’ailleurs en pleine négociation pour faire évoluer la législation. Une « charte sociale » visant à offrir des droits élargis aux travailleurs des plateformes avait été incluse dans la loi Avenir professionnel votée en août. Mais la disposition avait été retoquée pour un motif de forme par le Conseil constitutionnel en septembre. Portée par la majorité, la fameuse « charte » pourrait refaire surface à l’occasion de la loi mobilité, dont l’examen a démarré à l’Assemblée nationale.