Les joueurs ont un rapport surdéveloppé à la musculation
L’intensification des accidents graves met en lumière le rapport des joueurs à la musculation
Finis les Camberabero à moins de 70 kg, place aux « bestiasses » qui approchent ou dépassent allégrement le quintal. Depuis le début du professionnalisme, le rugby, et avec lui le corps des joueurs, est passé dans une autre dimension. Préparateur physique au RC Toulon, Thibault Giroud distingue trois phases bien distinctes : une musculation très axée sur la prise de masse pure au début des années 2000; une plus spécifique, par position, entre 2008 et 2012 ; et une muscu très spécifique, par profil, depuis 2012. Alors, du spécifique, concrètement, ça donne quoi ?
« Par exemple, des joueurs qui vont lever un pneu, on ne fait pas ça pour le plaisir, c’est une image pour dégager un mec d’un ruck, illustre Ludovic Loustau, préparateur physique de l’Aviron Bayonnais, en Pro D2. C’est un travail fonctionnel, de mobilité, un transfert des forces, pour que ce soit utile sur le terrain. » Sauf que ce changement de mentalité est arrivé un peu tard dans le championnat français, qui a encore un train de retard sur les clubs de l’hémisphère Sud et même les AngloSaxons. « En France, on est obnubilé par les gros gabarits, reprend Ludovic Loustau. Mais les mentalités commencent à changer. A La Rochelle, au Stade Toulousain, à l’UBB, on a des gabarits, derrière, avec des physiques normaux, où on met en avant la vitesse, l’évitement, la technicité. » Reste que le rugby demeure un sport de contact, rude, où on a besoin de se sentir fort. « On est un sport de combat, sauf qu’on n’a pas d’épaulettes, de protections comme au football américain, indique l’ancien international Imanol Harinordoquy. Notre armure, c’est notre corps, et, forcément, prendre quelques kilos te permet d’absorber les coups, de mieux digérer les matchs et encaisser la charge de travail. »
Les «erreurs» des jeunes
Pierrick Gunther, le troisième ligne de la Section Paloise, tient toutefois à avertir les jeunes : « Ils font les mêmes erreurs que moi, à faire du développement hypertrophique. Ils se basent sur des choses non spécifiques et oublient le renforcement de la chaîne postérieure. » « On voit des ados, à 15 ans, mesurer 1,80-1,90m et peser 80-90 kg, détaille Jean Chazal, neurochirurgien à Clermont. Avant, c’était des exceptions. Maintenant, les exceptions, il y en a partout. Le squelette d’un homme mâle n’est mature, en moyenne, qu’à l’âge de 21 ans. La surmusculation va aboutir à des troubles de la croissance, des vertèbres tassées… C’est dramatique. » « Le fait de commencer la musculation alors que les gamins n’ont même pas terminé leur développement physique, leur croissance, c’est une hérésie, conclut Imanol Harinordoquy. Aujourd’hui, on a besoin de réapprendre à former nos joueurs, en axant principalement sur la technique et en oubliant pour un temps la musculation. »