20 Minutes (Paris)

Le rap n’a pas besoin des Victoires pour briller

Bien que leur catégorie n’existe plus, les rappeurs ne seront pas forcément les perdants de la cérémonie

- Clio Weickert

Les rappeuses et les rappeurs seront-ils les grands perdants des Victoires de la musique ? Alors que la 35e cérémonie se tient ce vendredi soir à la Seine Musicale, à BoulogneBi­llancourt (Hauts-de-Seine), et sera retransmis­e en direct sur France 2 et France Inter, des critiques fusent autour de la nouvelle formule de la remise de prix. Pour cause, si le collège de votants a été élargi, passant de 600 à 900, le nombre des catégories a été raboté, passant de 13 à 8. Les musiques dites urbaines en font doublement les frais. Adieu la victoire de l’album rap et celle des musiques urbaines, les artistes concourent désormais dans des catégories beaucoup plus généralist­es. Ainsi, parmi les 21 artistes nommés dans les huit catégories cette année, seuls 4 artistes rap ont réussi à se faire une place : Lomepal (nommé en artiste masculin et album de l’année), Nekfeu (album de l’année) et le duo de PNL (création audiovisue­lle). Un constat surprenant quand on sait que le rap est l’une des musiques les plus écoutées des Français.

« Un certain nombre de producteur­s et d’artistes ne se sentaient pas du tout représenté­s dans telle ou telle catégorie, ou ne comprenaie­nt pas pourquoi ils devaient être dans un genre précis, justifie Romain Vivien, le nouveau président des Victoires contacté par 20 Minutes. On a décidé de simplifier, de traiter tous les artistes de la même façon.»

Cette refonte étonne Olivier Nusse, président d’Universal Music France. « Ces catégories rap avaient été créées à l’initiative de Natacha Krantz [la précédente présidente des Victoires], qui est la directrice de notre label Mercury. Une initiative qui donnait l’occasion à des artistes qui se révélaient de pouvoir, une fois par an, être reconnus comme étant ceux qui portaient en partie ce marché.» Pour Eloïse Bouton, journalist­e et fondatrice de Madame Rap, le nouveau dispositif relève de «l’invisibili­sation systématiq­ue» de cette musique, comme elle l’a déploré auprès de l’AFP.

Mehdi Guebli, directeur général du Bureau des artistes et manageur de plusieurs rappeurs, dont Sofiane et Vald, est plus nuancé : « Le côté positif, c’est que la musique urbaine n’est plus segmentée et est [désormais] considérée au même titre que n’importe quelle autre musique. Le côté négatif, c’est que ces projets vont se retrouver noyés.» On peut saluer une certaine forme d’équité dans cette nouvelle formule (« que le meilleur gagne») et se réjouir qu’un rappeur comme Lomepal puisse prétendre au prix de l’album de l’année, au même titre que Philippe Katerine et Alain Souchon. Il n’empêche, cela complique les possibilit­és de se frayer une place parmi les poids lourds du paysage musical français. Six artistes urbains étaient en lice aux Victoires l’an dernier, contre trois cette année. « Le vrai fond du problème, ce n’est pas vraiment la considérat­ion de l’urbain dans les Victoires, mais, surtout, le fonctionne­ment en lui-même, estime Mehdi Guebli. Qui sont les votants ? Le panel est très large, chacun va tirer la corde vers ses projets, ce qui est normal, mais ce sont des gens qui ne sont pas forcément sensibles à l’urbain ou qui ne sont pas forcément légitimes à voter pour déterminer si un projet est meilleur qu’un autre.» Rappelons que, sur l’ensemble des 900 votants, si 200 sont issus du grand public, la majorité est constituée d’artistes et de profession­nels de la musique (interprète­s, compositeu­rs, producteur­s, agents, programmat­eurs, etc.).

Par ailleurs, on ne peut qu’observer un manque cruel de représenta­ntes féminines du rap, et de diversité. «Il y avait beaucoup d’artistes représenta­nts de la diversité, notamment de la musique urbaine, qui ont fait partie de la présélecti­on après le premier tour de votes, informe Romain Vivien. Force est de constater que, après le deuxième, il en reste peu. Lomepal, Nekfeu et PNL sont nommés. Est-ce que c’est assez et que ça représente suffisamme­nt la diversité? Probableme­nt pas. Les artistes nommés sont-ils tous légitimes ? Probableme­nt que oui. Est-ce que la problémati­que vient des catégories ou des votants?»

Cette question, qui concerne l’ensemble des catégories, risque d’être d’actualité l’an prochain.

« On a décidé de traiter tous les artistes de la même façon. » Romain Vivien, nouveau président des Victoires

« Le panel est très large. Chacun va tirer la corde vers ses projets. » Mehdi Guebli, manageur

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Parmi les 21 artistes nommés cette année, seuls 4 rappeurs ont réussi à se faire une place (de g. à dr.) : Lomepal, le duo PNL et Nekfeu.
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