«J’estime que le postconfinement est un échec»
Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société
Les mesures pour limiter la crise sanitaire sont-elles trop liberticides ? La pandémie a fait émerger et pose encore des questions essentielles. L’occasion de nous interroger sur nos valeurs, notre démocratie, nos priorités. Pour évoquer ces questions éthiques, 20 Minutes a interrogé Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay.
Quelles sont les questions éthiques soulevées par le confinement ?
Dans un contexte imprévu et imprévisible, il a fallu trouver le bon équilibre entre l’intérêt général, l’intérêt des personnes vulnérables, les conséquences économiques, les enjeux sociétaux, notamment avec la fermeture des écoles. Pouvait-on faire autrement alors qu’il y avait urgence à décider? On a opté pour le moindre mal. Il est facile de juger a posteriori. Lors de la crise du H1N1, on a reproché au gouvernement d’en avoir trop fait, mais, en cas de catastrophe, on lui aurait reproché le contraire. J’estime, en revanche, que le postconfinement est un échec. Les politiques ont proclamé qu’ils nous redonnaient la liberté le 11 mai, alors qu’il importait de nous responsabiliser.
La crise politique risque de rendre plus difficile encore la gestion de la crise sanitaire.
Les médecins ne l’ont pas caché : ils ont dû faire un tri entre patients. Est-ce exceptionnel ?
Le réanimateur décide de l’arrêt de traitement, cela fait partie des pratiques habituelles. Normalement, on prend le temps, il y a une décision collégiale, on rencontre la famille, on sollicite l’avis du patient, si on peut. Les circonstances exceptionnelles ont imposé des choix, y compris quand les lits de réanimation manquaient. Certains Ehpad se sont autocensurés en renonçant à solliciter le Samu. Chacun a appris à gérer au moins mal la crise. Mais la communication et la possibilité d’être auprès de l’être cher ont cruellement manqué aux familles. Le deuxième point, plus important, c’est un autre tri, qui a concerné les malades chroniques. Des patients ont interrompu leur traitement parce que certains services étaient dévolus au Covid-19. Fallait-il privilégier les malades Covid-19 ?
Une question éthique a concerné les Ehpad : faut-il confiner pour protéger du Covid-19 les résidents, au risque que certains meurent de chagrin et de solitude ?
Décider le confinement des Ehpad s’est avéré discutable. S’il nous faut être soucieux des plus vulnérables, c’est en respectant leur dignité et leurs droits. Je n’accepte pas la maltraitance de décisions non concertées. Peutêtre faudrait-il privilégier le cas par cas ? Il nous faut aussi mieux comprendre ce qui s’est passé dans la solitude du domicile. A-t-on organisé les retours d’expérience pour mieux éclairer les choix futurs ? Je ne crois pas. Plus largement, cette crise pose la question de la qualité de vie des personnes marginalisées, en Ehpad, mais aussi dans les hôpitaux psychiatriques, celle des migrants…
Vous regrettez le manque de concertation nationale, mais quelle forme aurait-elle pu prendre ?
Gérer une crise sanitaire d’ampleur relève de l’autorité politique. L’adhésion de la société n’est possible que si elle est associée au processus décisionnel. Car si elle ne s’approprie pas les décisions, qui concernent souvent des comportements individuels, les préconisations ne sont pas appliquées. A aucun moment les pouvoirs publics n’ont pris l’initiative permettant d’être à l’écoute de ce que notre société proposait. Sur le plan de la mobilisation de terrain, de l’expression de solidarité, de valeurs à privilégier. On aurait pu organiser de grands débats. Le milieu associatif et les artistes auraient pu donner à penser et mobiliser.
Les Français ont découvert une communauté scientifique divisée. La défiance vis-à-vis des médecins a-t-elle été amplifiée par la crise ?
Oui, la défiance à l’égard de toute parole publique ou scientifique est très inquiétante. La démarche scientifique est complexe, elle demande du temps, elle est faite de controverses. Mais celles-ci se sont faites sur la scène publique, en direct à la télévision, et sans en expliquer les enjeux.
Certains dénoncent une « dictature sanitaire ». Comment renouer le dialogue ?
«La défiance à l’égard de toute parole publique est inquiétante.»
La confiance se mérite. Nos décideurs politiques devraient de toute urgence repenser leur rapport avec la société, qui conteste les injonctions contradictoires, les hésitations entre discours paternaliste et décisions autoritaires, souvent prises par défaut de pédagogie. Rien n’indique que nous accepterons des règles plus contraignantes demain.
« J’estime que le postconfinement est un échec. »