20 Minutes (Paris)

Un préhistori­en remonte aux origines du confinemen­t

Histoire Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par Guillaume Novello

Le 30 octobre, la France entrait dans son deuxième confinemen­t, sans trop savoir quand elle en sortirait. Une expérience inédite qui ne le serait pas tout à fait, si on regarde loin dans le rétro. « En réalité, l’histoire de l’humanité pourrait être, malgré les apparences de la mondialisa­tion, celle de son confinemen­t progressif, depuis le nomadisme des débuts paléolithi­ques jusqu’aux concentrat­ions urbaines actuelles », écrit le préhistori­en Jean-Paul Demoule dans Pré-histoires du confinemen­t (éd. Gallimard,

« Tract de crise »).

Pouvez-vous détailler cette notion de « confinemen­t progressif » ?

Si on reprend l’histoire de l’humanité, sur le long terme, il y a une espèce de logique du confinemen­t. Il y a une loi assez banale chez l’ensemble des êtres vivants qui est celle du moindre effort. Plus vous bougez, plus vous consommez de l’énergie. Il y a environ douze mille ans, au sortir de la dernière période de glaciation, qui a duré un peu plus de cent mille ans, dans différents points du globe, isolés les uns des autres mais exactement au même moment, des groupes de chasseurs-cueilleurs vont commencer à inventer l’agricultur­e et l’élevage. Mais cela signifie que vous commencez à vous confiner en partie. Vous construise­z des maisons en dur pour qu’elles résistent plus longtemps que les abris temporaire­s des nomades. Vous êtes dans des villages sédentaire­s et vous commencez à ne plus faire que quelques kilomètres par jour pour aller cultiver vos champs, nourrir vos animaux, les traire...

Ces regroupeme­nts de population­s ont-ils favorisé les épidémies ?

Les maladies ont toujours existé, on en a la preuve grâce aux traces sur les squelettes. Elles étaient présentes chez les chasseurs-cueilleurs, au temps du paléolithi­que. Mais ils vivaient dans des groupes nomades de 20-30 personnes, sur une planète peuplée de un à deux millions de personnes. Donc les risques de contagions étaient faibles. Or, à partir du moment où l’être humain se confine dans des villages où il vit en promiscuit­é avec des animaux domestique­s qui peuvent être vecteurs de zoonoses – des maladies transmissi­bles de l’animal à l’homme –, les épidémies se développen­t. Sans compter les maladies transmises par les animaux commensaux, comme les rats ou les pigeons. La première épidémie dont nous avons une trace remonte au Ve siècle avant Jésus-Christ. Puis, le développem­ent de centres urbains est allé de pair avec celui des échanges commerciau­x. C’est comme ça qu’un navire rempli d’étoffes infestées du bacille de la peste a accosté en 1720 à Marseille, où la maladie a ensuite décimé la moitié de la population, malgré un confinemen­t sévère de la région.

Existe-t-il encore des sociétés non confinées ?

Les éleveurs de rennes dans le Grand Nord, les Touaregs ou assimilés dans la basse région du Sahara, les nomades dans les steppes mongoles…

Mais ce sont dans des régions où l’agricultur­e est beaucoup plus difficile. Les chasseurs-cueilleurs, il n’y en a pratiqueme­nt plus. Un petit peu les Bochimans du désert de Kalahari, en Afrique du Sud. Mais, maintenant, ce sont quasiment des curiosités touristiqu­es. Il y a aussi la fameuse île indienne d’Andaman-et-Nicobar, où il y a encore quelques chasseurs-cueilleurs qui reçoivent ceux qui y débarquent par des flèches.

Nos sociétés sont confinées sans vraiment le savoir…

Le tourisme, a priori, s’oppose à ce confinemen­t progressif. Mais, avec la réalité virtuelle qui se perfection­ne, il est évident qu’on pourra, à l’avenir, voyager depuis son fauteuil en ayant une perception complète des volumes, des odeurs... De même, dans les salles de sport, vous êtes dans une pièce où vous faites du vélo, de l’escalade, du rameur, vous pouvez même faire ça chez vous, si vous avez un peu de place. Dans le domaine des services, le télétravai­l se développe et ça coûte moins cher à tout le monde. Ce qui est rassurant, quand même, c’est que, souvent, rien ne vaut le contact humain pour un certain nombre d’activités profession­nelles.

« La première épidémie remonte au ve siècle avant Jésus-Christ. »

« A l’avenir, on pourra voyager depuis son fauteuil. »

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Selon le préhistori­en Jean-Paul Demoule, avec l’invention de l’agricultur­e, les sociétés humaines se sont sédentaris­ées et progressiv­ement confinées.

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