20 Minutes (Paris)

Un ex-Canari apprend le «jeu à la nantaise» à des migrants

Japhet N’Doram enseigne le «jeu à la nantaise» à des migrants

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« Le foot leur donne confiance et ils s’affirment grâce à lui. » Japhet N’Doram

«Allez, si c’est ça votre rythme, vous n’allez prendre personne de vitesse…» Sourire aux lèvres, le sifflet à portée de la bouche et vêtu d’une parka du conseil départemen­tal de Loire-Atlantique, Japhet N’Doram taquine, ce vendredi après-midi, sur le terrain synthétiqu­e du Pin-Sec, quartier est de la ville de Nantes. Comme tous les lundis (à la Durantière) et les vendredis, depuis maintenant trois ans et demi, l’ancien meneur de jeu du FC Nantes, champion de France en 1995, anime des entraîneme­nts de football pour des migrants. Une heure et demie à deux heures par séance, au moins, car «une fois qu’ils sont là, ils ne veulent plus partir », sourit l’ancien Sorcier de la Beaujoire, âgé de 55 ans.

Vendredi, ils étaient 14, prêts à en découdre lors des petites opposition­s. «Tout ce qui les intéresse, c’est le jeu, les ateliers, ça les botte moins», confesse N’Doram. Après un exercice pour travailler la conservati­on du ballon, le technicien en propose un basé sur la vitesse et l’explosivit­é. L’enthousias­me est douché. Les sourires reviennent quelques minutes après avec l’opposition sur un demi-terrain. Tous sont mineurs. Logés en foyers ou dans des hôtels. Pour la plupart, leur arrivée dans la cité des ducs est très récente. Comme ce Congolais de 16 ans, débarqué en décembre, et qui, en attendant de trouver une formation ou un cursus scolaire, savoure ce temps consacré au ballon rond qu’il tripote plutôt bien… «Je jouais tous les jours dans la rue chez moi, confie celui qui a quitté ses terres pour des raisons familiales. « A part le foot, je n’ai pas beaucoup d’autres occupation­s pour le moment. J’ai l’impression de retrouver une vraie famille pendant ces entraîneme­nts.» Même sentiment pour cet Ivoirien de 16 ans, arrivé, lui, l’été dernier : «J’attends avec impatience ces moments. Ces entraîneme­nts me divertisse­nt et m’aident à m’intégrer. Je retrouve une famille, même si elle n’est pas biologique. »

Cette idée, émanant du conseil départemen­tal et soutenue par la ville, qui met à dispositio­n deux créneaux hebdomadai­res, a tout de suite plu aux nouveaux arrivants. Ils étaient même une centaine il y a trois ans et demi. Depuis, certains ont quitté le départemen­t. D’autres se sont inscrits dans des clubs de la banlieue nantaise ou ailleurs. «Il y a aussi moins d’arrivées qu’en 2018, explique Claire Drouet, de l’associatio­n Saint-Benoît Labre, mandatée par le conseil départemen­tal pour prendre en charge les mineurs non accompagné­s. Ils adorent aller retrouver Japhet. Une fois qu’on leur a indiqué l’horaire et le lieu, ils y vont en parfaite autonomie.» Des tenues et des chaussures de foot, récupérées au relais Emmaüs, leur sont prêtées. «C’est un moment de plaisir pour eux», poursuit l’éducatrice. Un temps de divertisse­ment et d’intégratio­n indispensa­ble. «Le foot peut leur ouvrir des portes, souffle N’Doram. La réalité pour eux n’est pas toujours celle qu’ils avaient imaginée avant leur arrivée, mais j’estime que, s’ils ont envie de rester ici, on leur donnera la possibilit­é et les ouvertures pour. » Il y a deux ans, l’ancien Canari avait convaincu trois migrants de le rejoindre à Haute-Goulaine, où il était entraîneur. Les trois ont fini par trouver un job dans la petite commune de LoireAtlan­tique. « Des dirigeants du club les ont engagés dans leurs entreprise­s de cuisine, BTP et menuiserie. Le foot leur a ainsi permis d’entrer dans le monde du travail. »

Au quotidien, Japhet N’Doram est davantage qu’un entraîneur pour eux : « Ils me considèren­t comme un grand frère. Ils me font des confidence­s, me demandent des conseils. Mon rôle va au-delà de celui d’un éducateur. » Pour celui qui a débarqué à Nantes en provenance du Tchad, son pays d’origine, à l’âge de 24 ans, c’est « presque un devoir» d’accompagne­r l’intégratio­n de ces jeunes, cabossés par la vie. «Certains ont eu des parcours chaotiques pour arriver jusqu’ici. Ils ont connu la misère, la guerre dans leur pays. D’autres ont perdu des copains et ont subi des atrocités. Le foot leur donne confiance et ils s’affirment grâce à lui. Et c’est ce qui me touche le plus et me rend le plus fier.» N’Doram sait mieux que personne ce que le ballon rond peut apporter. «Si je suis là aujourd’hui, trente ans après, c’est grâce au foot. »

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L’ancien meneur de jeu des Canaris, salarié du conseil départemen­tal de LoireAtlan­tique, anime deux fois par semaine des séances pour des migrants mineurs.

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