20 Minutes (Paris)

«On est la poussière sous le tapis»

La déprogramm­ation des soins est un vrai cauchemar pour les patients concernés

- Jean-Loup Delmas

En France, 93000 personnes sont mortes du coronaviru­s depuis le début de l’épidémie. Mais ce n’est que l’un des aspects mortifères de la situation sanitaire. En raison de la saturation des hôpitaux et de l’occupation massive des lits de réanimatio­n, la pandémie entraîne le report de nombreuses opérations pour d’autres maladies, afin de rabattre les capacités des hôpitaux sur cette seule épidémie. Des déprogramm­ations déjà entreprise­s lors de la première et de la seconde vague.

« Sous prétexte qu’on ne va pas mourir tout de suite, on se fiche bien de notre sort. »

Camille

Techniquem­ent, «ce sont les opérations les moins urgentes qui sont déprogramm­ées les premières », rassure le docteur Jérôme Marty, président du syndicat Union française pour une médecine libre. Mais à force de voir le coronaviru­s saturer toujours plus les hôpitaux, « on finit fatalement par déprogramm­er des opérations de plus en plus importante­s».

Pour les personnes concernées, un sentiment d’abandon domine. « On est les grands oubliés de l’épidémie, déplore Camille*, 63 ans et atteint d’un cancer. Aujourd’hui, dans la cinquième puissance mondiale, on ne peut pas soigner tout le monde, et on met des gens de côté.» Elle dit comprendre le calcul : les malades du coronaviru­s en réanimatio­n mourront assurément sans prise en charge, tandis que, pour elle, il y a un espoir, même en cas de report de l’opération. Il n’empêche, elle redoute un énième report, après ceux de la première et de la seconde vague : «Il y a un pari fait sur notre santé pour soigner celle des autres, plus urgentes. Je veux bien essayer de le comprendre, mais ça reste inacceptab­le et inadmissib­le.» La peur envahit la séxagénair­e de plus en plus : « La nuit, je cauchemard­e sur mes tumeurs qui augmentent et se développen­t, elles qui auraient dû être traitées dès avril 2020 et ne l’ont été qu’en juin. Résultat, métastases deux mois plus tard. On devient fous à penser à tout ce temps perdu sur la maladie.» En plus des soins, c’est un abandon politique et médiatique que ressentent ces patients. «On est la poussière cachée sous le tapis, souffle Camille. Sous prétexte qu’on ne va pas mourir de suite, on se fiche bien de notre sort. » Elle s’interroge : pourquoi ne pas mettre le nombre d’opérations annulées ou reportées dans les bilans de Santé publique France, pourquoi si peu de politiques mentionnen­t cette problémati­que, pourquoi une telle inconsidér­ation ? Impossible aujourd’hui de mesurer pleinement la catastroph­e sanitaire de ces déprogramm­ations, tant leur nombre comme leurs conséquenc­es sont difficiles à estimer – a fortiori avec la troisième vague qui va encore les multiplier. Pour Jérôme Marty, « on en mesura la portée que dans plusieurs années, avec un fort ressentime­nt à ce moment-là ».

*Le prénom a été changé

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Près de 80 % des soins hors coronaviru­s vont être déprogramm­és en Ile-de-France, afin de récupérer des lits.

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