Des espèces s’incrustent
A l’image de la crépidule, les espèces invasives sont l’un des premiers facteurs de perte de biodiversité dans le monde. La France commence à prendre la menace au sérieux.
On le surnomme le berlingot de mer. Coquillage comestible, la crépidule a proliféré à grande vitesse dans les années 1970, quand la France a investi dans les huîtres creuses venues d’Asie. La Bretagne et ses 2 000 kilomètres de côte ont été les premiers touchés en France. Quarante ans plus tard, le coquillage s’est démultiplié. Au grand dam des producteurs d’huîtres et de moules. « La capacité diminue dans la baie. On ne le voit pas trop en quantité, mais surtout en qualité. Nos moules et nos huîtres partagent les mêmes repas que la crépidule. Ça devient compliqué. » Une densité énorme
François-Joseph Pichot connaît bien le berlingot de mer. Cet ostréiculteur de Cancale a vu le coquillage s’installer progressivement dans la baie du Mont Saint-Michel. « Il y en a de plus en plus. » L’Ifremer a tenté de faire un recensement, mais peine à identifier les raisons de la prolifération. « C’est une espèce qui est arrivée avec les Alliés
pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais elle n’a proliféré que bien plus tard », explique Antoine Carlier, chercheur à l’Ifremer. Basé à Brest, le scientifique vient d’établir un nouvel état des lieux dans la rade. « Il y a une forte densité, parfois jusqu’à 2000 individus par m2. C’est énorme. Mais on a des endroits où il n’y en a pas une de vivante. » Pourquoi ? Le chercheur ne l’explique pas. Son équipe vient de relancer une étude sous-marine. « C’est illusoire de penser qu’on peut l’éradiquer, d’autant qu’elle n’est pas dangereuse. Elle attire une nouvelle biodiversité », conclut le chercheur de l’Ifremer.
Ecrevisse d’Amérique, moustique tigre, renouée du Japon… Derrière ces noms exotiques se cachent des espèces végétales et animales qui causent de gros dégâts. Professeur et coordonnateur de la Stratégie nationale relative à ces espèces envahissantes, Serge Muller rappelle que des mesures ont fini par être prises.
Qu’est-ce qu’une espèce invasive?
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) donne une définition qui fait consensus. Il s’agit d’une espèce venue d’un autre pays ou d’un autre continent, introduite par l’homme volontairement (parce qu’elle était belle, par exemple) ou involontairement (via les échanges commerciaux internationaux), et qui s’adapte si bien à son nouveau milieu qu’elle y prolifère au point de menacer l’écosystème existant.
A quelles espèces pensez-vous?
On peut citer le frelon asiatique, observé pour la première fois en France en 2004 dans le Lot-et-Garonne. En outre-mer, des chats retournés à l’état sauvage déciment des populations d’oiseaux endémiques, comme le pétrel de Barau à La Réunion.
Quelles menaces les espèces invasives font-elles peser sur la biodiversité?
L’UICN en parle comme de la deuxième cause de perte de biodiversité dans le monde, derrière la disparition des habitats naturels. En France, l’impact est moindre et vient après la surexploitation des ressources ou les pollutions. Mais les espèces invasives peuvent avoir des conséquences sanitaires. Par exemple, le contact avec la berce du Caucase provoque de graves irritations de la peau.
Quelles mesures ont été prises?
On prend peu à peu conscience du problème. Depuis 2016, les Etats membres de l’UE ont interdiction d’importer, de cultiver, de reproduire, de vendre ou de remettre dans le milieu naturel 49 espèces.