20 Minutes (Rennes)

La scarificat­ion, expression du mal-être des ados

De plus en plus d’adolescent­s expriment leur souffrance via la scarificat­ion. Explicatio­ns d’un pédopsychi­atre et d’un sociologue

- Anissa Boumediene

Pour des adolescent­s en souffrance, la scarificat­ion peut dans de rares cas devenir une forme paradoxale de refuge, le seul mode d’expression de leur douleur psychique. Car si, aujourd’hui, les enfants et adolescent­s français sont globalemen­t en très bonne santé physique, les troubles mentaux sont devenus les premières maladies à affecter leur santé. Outre la dépression, les troubles alimentair­es ou la somatisati­on, « le recours à la scarificat­ion a fortement augmenté ces dernières années, il est de plus en plus commun », estime le Pr Michel Botbol, pédopsychi­atre au CHU de Brest. Si des cas de scarificat­ions peuvent quelques fois concerner des enfants, « c’est plutôt l’expression d’un mal-être adolescent, qui touche davantage les filles, et qui apparaît au collège ou au lycée », explique David Le Breton, sociologue et auteur de l’ouvrage La peau et la trace *.

«Impossible d’en parler»

« La scarificat­ion est un moyen paradoxal de se maintenir en vie, de faire sortir la souffrance », explique le sociologue. C’est ce qu’a vécu Hawa**, victime de harcèlemen­t depuis la primaire. En troisième, elle fait l’objet d’une rumeur et commence « petit à petit à avoir des idées suicidaire­s. Cela m’a très vite menée à l’isolement, se souvient la jeune femme de 19 ans. Je ne supportais plus d’entendre toutes ces choses horribles, les moqueries sur mon prénom, ma couleur de peau, mon physique. Impossible pour moi d’en parler à la maison, c’était trop tabou. » Pour soulager sa douleur mentale, Hawa s’entaille la peau. Un jour, elle touche une artère et doit être hospitalis­ée. «Lorsque la CPE de mon établissem­ent a compris la gravité de ce que je vivais, elle a fait un signalemen­t, se souvient-elle. Dans le cadre de cette procédure, j’ai dû consulter un psychologu­e. Je pensais que ce serait inutile, et les premières séances ont été très difficiles, mais en réalité, ça m’a fait du bien de parler. » Libérer la parole, c’est ce que conseille le corps médical. « Le but ici n’est pas de viser en premier lieu l’arrêt des scarificat­ions, mais de faire en sorte que l’adolescent­e apprivoise sa souffrance et son stress, de sorte qu’elle n’éprouvera plus le besoin de se scarifier, précise le Pr Botbol. Pour y parvenir, il ne faut pas forcer à tout prix la parole. On peut commencer par mettre en place une médiation, proposer à l’adolescent­e des activités qui soient pour elle un moment de plaisir, durant lequel toute l’attention lui est accordée. Et, en fonction de l’évolution, arriver à une consultati­on psy, pour avis médical, et pour que l’adolescent­e se sente écoutée et entendue ».

* La peau et la trace - Sur les blessures de soi, éditions Métailié, 15 €. ** Le prénom a été changé.

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Selon David Le Breton, sociologue, les jeunes se scarifient pour rester en vie.

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