L’écran ou la plume
Débat A ma gauche, le dessinateur d’« Une année sans Cthulhu », fervent défenseur des outils numériques. A ma droite, l’auteur de « Long John Silver », attaché à l’utilisation du traditionnel tandem pinceaux-papier. Au centre, Ugo Bienvenu, le dessinateur
Quels sont les avantages de votre outil de création ?
J’utilise un logiciel de dessin vectoriel qui me permet de modeler mon « trait » et mes couleurs comme du papier découpé. Chaque partie de mon image est donc mobile. Je peux ainsi composer au mieux mon image. Et je peux revenir à tout moment en arrière, ce qui permet d’ajuster mon histoire jusqu’à la toute fin de l’album.
Le rapport à l’objet, son charme, sa matière, sa réalité liée au temps de séchage et à ses caractéristiques propres. Et, surtout, le fait d’être incarné. Le dessin qui en résulte existe et peut être manipulé.
Pour finir, on sait quand il est achevé. L’objet impose son équilibre.
En quoi « l’autre » technique vous semble-t-elle limitée ?
Il faut être très soigneux et appliqué (j’ai pour ma part plutôt tendance à renverser mon pot d’encre), ce qui peut parfois « figer » le dessin. Le fait de devoir recommencer tout à zéro lorsqu’il y a un problème est très frustrant. Et il faut un grand espace de stockage pour ses planches !
Le numérique permet énormément de choses : la variété des possibilités 2D et 3D, l’accès aux références visuelles… Tout est faisable et modifiable, à l’infini. Il peut être difficile de définir le moment juste ou l’on dépose les armes. A multiplier les possibles, on a parfois du mal à trancher.
En quoi « l’autre » technique vous semble-t-elle toutefois digne d’intérêt ?
Les accidents créés au hasard d’un empâtement ou d’une tâche donnent de la vie au dessin. La spontanéité du premier geste ou, au contraire, le travail de structure du dessin se ressent et procure une émotion particulière. Le plaisir du pinceau et de l’encre sur le papier et la satisfaction d’avoir des originaux à faire partager aux lecteurs.
Travailler en numérique autorise l’audace dans le cadre professionnel. On ne risque pas de « perdre » l’original d’un simple coup de pinceau maladroit, ou d’un parti pris hasardeux. La liberté et la variété des rendus permettent beaucoup de fantaisies, mais aussi des aboutissements de « rendus » dans des délais très courts. C’est pratique et efficace.
Donnez-nous un exemple précis de ce qu’on ne pourra, selon vous, jamais réaliser avec « l’autre technique »…
Rendre la fidélité exacte du dessin original dans un livre. Quelle que soit la qualité de la numérisation, il y aura toujours une perte dans le rendu du trait et des couleurs lors du passage du papier à l’ordinateur et, ensuite, à l’impression du livre.
La peur de l’échec, le côté « romantique » du geste à risque qui met en jeu la survie de la pièce, sa réussite ou son échec. Je n’ai jamais pu être aussi heureux ou en rage que lorsque je travaille sur papier ou toile ! Le réel, c’est le média des passions.