La viralité prise pour cible
Malgré une politique volontariste, les autorités publiques peinent à faire évoluer les plateformes Web
Lutter contre le sentiment d’impunité en ligne. Depuis 2014, la France a renforcé son arsenal juridique pour apporter une réponse au cyberharcèlement. Le 2 décembre, Thierry Breton, commissaire européen chargé du numérique, doit présenter un texte visant à réguler les réseaux sociaux. Mais un levier d’action demeure aux mains des géants du Web : celui de la viralité.
Juteuses polémiques
Pourtant au coeur de la mécanique de diffusion de haine sur Internet, les fonctionnalités qui régissent nos interactions sur les réseaux sociaux peinent à évoluer. «C’est compliqué d’agir sur ces fonctionnalités parce qu’elles font partie de l’ingénierie interne des réseaux sociaux, expose Olivier Ertzscheid, chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Nantes. Les contenus haineux ou polémiques suscitent plus d’interactions entre les internautes, donc plus de temps passé sur la plateforme, et génèrent plus de revenus publicitaires. »
Les pouvoirs publics ont conscience de cet enjeu économique. «Le mode de fonctionnement des réseaux sociaux repose sur la viralité, pointe la députée LREM Laetitia Avia. Notre volonté, c’est d’aller vers une évolution de ce “business model”.» Mais la capacité d’un Etat à faire changer le modèle économique de plateformes qui regroupent des milliards d’utilisateurs semble limitée. L’initiative portée par
Thierry Breton pourrait changer le rapport de force, estime-t-on dans l’entourage du secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O : « Si on veut être efficace, il faut une nouvelle législation européenne. Certains réseaux sociaux ont une empreinte massive sur nos démocraties à travers ces mécanismes de viralité. »
La bataille de la régulation s’annonce compliquée. Mais, pour Olivier Ertzscheid, les Etats disposent de moyens pour légiférer : «Un pays ne peut pas forcer Coca-Cola à changer la recette de sa boisson, sauf s’il arrive à prouver que la recette est toxique pour sa population. C’est la même chose avec les réseaux sociaux. Une documentation existe désormais pour démontrer le caractère néfaste des mécanismes de viralité. Le législateur peut s’en saisir et doit pouvoir le démontrer pour agir.»