L’agriculture bretonne à l’aube de son grand tournant
Après des années de productivisme, la Bretagne est à un tournant «agroécologique», qui doit passer par une réduction de la production
Nourrir la France. Voilà la mission qui avait été confiée à la Bretagne au sortir de la Seconde Guerre mondiale. A marche forcée, la région a délaissé son agriculture paysanne pour un modèle productiviste. Au fil des années, la Bretagne est devenue la première région agricole de France, qui produit 60 % de sa viande porcine, 43 % de ses oeufs et un tiers de ses volailles.
Assurer des revenus décents
Mais, depuis quelques années, ce modèle vacille et fait l’objet de critiques. «On sait que l’on est attendu sur des questions sociétales, environnementales et sanitaires», souligne Didier Lucas, éleveur de porcs et président de la Chambre d’agriculture des Côtesd’Armor. L’agriculture bretonne se prépare donc à engager sa transformation dans les prochaines années. «Mais nous resterons une terre d’élevage avec une agriculture qui continue d’exporter », assure André Sergent, président de la Chambre régionale d’agriculture. Une terre d’élevage qui devra toutefois « produire moins », et donc mieux, tout en assurant un revenu décent à ses agriculteurs. «Il faudra produire différemment avec moins de volume et plus de surface et de lien au sol », précise Didier Lucas.
La Bretagne n’aura de toute façon pas le choix car elle voit chaque année le nombre de ses agriculteurs exploitants baisser drastiquement, avec une installation pour quatre départs. « Traire les vaches, ça ne fait plus rêver les jeunes», concède Loïc Guines, éleveur laitier passé en bio et président de la Chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine. Les attentes des consommateurs ont aussi évolué ces dernières années, obligeant les agriculteurs à s’adapter à la demande. «Même les agriculteurs mangent moins de viande aujourd’hui, c’est terminé le pâté ou le lard au petit-déjeuner », sourit Loïc Guines.
Pour réussir ce tournant « agroécologique» salué par le président de région Loïg Chesnais-Girard, la Bretagne mise notamment sur la diversification de ses cultures. La Chambre d’agriculture pousse pour le développement d’une production régionale de protéines végétales comme les lentilles ou le quinoa. « Et pourquoi pas du lin, du bambou ou du chanvre si cela répond à un marché», suggère Jean-Hervé Caugant, président de la Chambre du Finistère.
Si la réflexion est engagée, la mutation de l’agriculture bretonne ne se fera pas en un claquement de doigts. «Le temps de la transition n’est pas le temps de l’émotion », souligne Didier Lucas, réclamant « des encouragements » pour les agriculteurs. « Tout le monde devra assumer ses responsabilités si on veut réussir ce virage à commencer par le consommateur, conclut Jean-Hervé Caugant. Mais acceptera-t-il de payer le prix ? ». Voilà tout l’enjeu pour l’agriculture bretonne, en passe peut-être d’écrire une nouvelle page de son histoire.