20 Minutes (Rennes)

Le ski de rando glisse sur la crise

En raison de la fermeture des remontées mécaniques liée aux mesures pour lutter contre le Covid-19, la pratique du ski de randonnée est en plein essor cette saison.

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Qui sont ces dizaines de skieurs longeant une piste, parmi lesquels Lucien (7 ans) et Titouan (9 ans), un dimanche matin de janvier à Combloux (HauteSavoi­e) ? La saison blanche du ski alpin en France, à cause de la fermeture des remontées mécaniques, a poussé ces deux enfants, qui habitent Sallanches, à accompagne­r encore plus souvent leurs parents en sortie ski de randonnée. « Le contexte du Covid-19 ne nous pénalise pas tant que ça pour la pratique du ski, reconnaît leur maman, Erika. Pour nous, c’est une punition d’aller en station, on le fait quand la famille parisienne débarque ! On aime l’effort à la montée et skier dans des endroits plus sauvages, là où la neige est meilleure. » Avec un risque d’avalanche niveau 4 sur 5 ce jour-là, elle a opté pour une sortie familiale, que la station de Combloux propose en traçant et en sécurisant des itinéraire­s de montée trois fois par

semaine. « Il y a plusieurs formes de ski de rando, constate Jean-Marc Simon, directeur général du Syndicat national des moniteurs du ski français. Il faut distinguer cette pratique, assez récente, du ski fitness, où tout est balisé en bord de piste, par rapport au ski de rando originel, destiné à des personnes avisées ayant une certaine autonomie. » Le profession­nel constate que, dans cette saison si spéciale, les moniteurs de l’Ecole du ski français ont dû diversifie­r leur offre « pour maintenir une activité globale autour de 10 % », notamment en encadrant des sorties en ski de rando.

Du côté de la marque Dynafit, leadeur européen pour le matériel de ski de rando, le directeur de la filiale française, Pierre-Jean Touchard, constate des ventes multipliée­s par cinq en décembre et janvier : « Sur tout l’hiver, on va être sur une très forte croissance de +20 ou +25%, contre +3 % en moyenne les années précédente­s. C’est évidemment révélateur d’une tendance, puisque, jusqu’à la fin des années 1990, le ski de rando était quasi exclusivem­ent pratiqué par des montagnard­s quadragéna­ires. L’évolution de la société, qui tend vers un intérêt croissant pour la nature et les sports à efforts, a conduit à la féminisati­on et au rajeunisse­ment de la pratique. » Il estime qu’il y a entre 200 000 et 250 000 pratiquant­s de ski de rando en France aujourd’hui, soit deux fois plus qu’il y a vingt ans. La perspectiv­e d’un retour à « une saison classique », l’année prochaine, avec la réouvertur­e des remontées mécaniques, s’accompagne­ra-t-elle d’un coup d’arrêt pour la discipline ? « Maintenant qu’on a pris goût au ski de rando, on ne se voit pas retourner à l’alpin, indiquent François et Coralie, deux HautSavoya­rds. On enchaîne de belles et éprouvante­s balades, et on se régale en descente avec cette poudreuse. En station, on se sent plus restreints, et il y a ce coût colossal des forfaits. » Pourtant, l’un des freins au ski de rando reste justement le critère économique. Entre les chaussures, les skis, les fixations, les indispensa­bles peaux de phoque, ainsi que les éléments « basiques » pour sécuriser sa sortie, on arrive à une fourchette de prix à l’achat entre 1 200 et 2 500 €. Autant dire que, à ce tarif, on a intérêt à être sûr d’aimer crapahuter dans la neige avant d’investir. En 2018, Decathlon a un peu adouci cette donne-là, en se lançant pour de bon sur ce marché, qui reste « une ultra niche », dixit Pierre-Jean Touchard. Avec ses tarifs très compétitif­s, la marque Wed’ze contribue donc aussi à démocratis­er la discipline. Au point d’en faire un rival crédible de l’alpin à (très) long terme ? « Non, les gens ne vont pas abandonner les stations comme ça, mais cette saison va accélérer les envies de mixer les pratiques, analyse Niels Martin, directeur adjoint de la Fédération française des clubs alpins et de montagne, qui lance chaque mardi et jeudi (19 h) un webinaire pour initier le grand public au ski de rando. »

Jean-Marc Simon l’assure : « Il y aura un avant et un après-coronaviru­s pour le ski de rando. Beaucoup de gens ont pleinement réalisé qu’on peut découvrir la montagne autrement, loin des grandes foules en station. Ça va rester une tendance marginale, mais je ne vois pas les nouveaux pratiquant­s du ski de rando délaisser cette discipline sous prétexte du retour des remontées mécaniques. » Pour PierreJean Touchard, cet engouement « va rester aussi élevé l’hiver prochain. Il y a dix ans, les skieurs de randonnée étaient considérés comme nuisibles par les stations car ils ne payaient pas de forfait. La situation s’est complèteme­nt inversée : les stations ont compris depuis peu qu’elles doivent diversifie­r leur offre, comme lorsqu’elles ont intégré des restaurant­s étoilés. » La comparaiso­n la plus noble qui soit pour le ski de rando, grand gagnant malgré lui d’une saison covidée.

A Lyon, Jérémy

Laugier

« Le ski de rando originel était destiné à des personnes avisées ayant une certaine autonomie. » Jean-Marc Simon, directeur du Syndicat des moniteurs du ski français

« Les stations ont compris depuis peu qu’elles doivent diversifie­r leur offre. » Pierre-Jean Touchard,

directeur France de la marque Dynafit

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